Émission Dubstep Warz, 9–10 janvier 2006, BBC Radio 1
Nous avons le plaisir d’accueillir Zacharie Gaborit sur Dubstep Mag. Aujourd’hui, il nous présente un gros dossier exhaustif retraçant l’histoire du dubstep. Zacharie a travaillé d’arrache-pied pour vous offrir une analyse complète et détaillée de ce genre musical, et nous le remercions chaleureusement de partager son expertise avec nous.
Zacharie Gaborit est journaliste. Quand il n’est pas occupé à couvrir l’actualité, il se passionne pour l’histoire des musiques électroniques et des cultures web. Nous vous invitons à découvrir ce passionnant travail sur Dubstep Mag. Pour en savoir plus sur Zacharie ou le contacter, vous pouvez le retrouver sur LinkedIn.
Si on vous dit dubstep… À quoi vous pensez en premier ?
Pour une partie des moins de 25 ans, ça évoque Skrillex, l’année 2012, ou les jeux-vidéo. Mais pour la majorité, c’est un truc électro, hyper bourrin et saturé, qui était à la mode au début des années 2010… c’est déjà un bon résumé finalement.
En France, ça a touché cette génération entre millenials et génération Z, aujourd’hui de jeunes adultes.
Dès le début de cette décennie, certains ont découvert ce son en soirée, surtout vers la capitale, mais beaucoup d’autres ont découvert et vécu le dubstep à partir d’Internet : par la pratique d’un jeu-vidéo en ligne, mais surtout par l’usage de YouTube.
En fait, ce qui est parvenu jusqu’à ces jeunes oreilles à ce moment-là, c’est l’aboutissement d’un genre musical qui a désormais la vingtaine.
Il a eu le temps de grandir, d’évoluer, tout ça en parcourant le monde. Partons découvrir son histoire.
(Précisions : Ces articles sont le fruit de recherches personnelles, je ne prétends en rien à l’exhaustivité. Par ailleurs la mise en avant abusive de certains artistes par rapport à d’autres est compliquée à évaluer lors de l’écriture, alors même que l’évolution de ce type de scène électronique se fait collectivement, et rarement par de grands génies solitaires. Si vous voulez entrecroiser vous-même différentes histoires du dubstep, des liens de docus/ vidéos/articles en anglais sont disponibles en fin d’article, après la section “Sources”. C’est bon j’ai fini de me dédouaner, bonne lecture.)
1- Genèse : un genre intrinsèquement anglais
La Grande-Bretagne occupe une place particulièrement importante dans l’histoire de la musique électronique. Si on en parle, c’est que c’est là-bas que le dubstep émerge à la fin du siècle dernier, brassant de nombreuses influences : essentiellement le dub, la techno, le breakbeat, la jungle, le UK garage. On va y aller doucement, pas de souci.
Le dub, pour commencer, est un mouvement issu du reggae jamaïcain qui consiste en des morceaux instrumentaux, avec un important travail de remixage (notamment l’ajout d’effets sonores).
Inventé dans les années 1960, il se renouvelle dans les années 1990, avec une nouvelle génération de musiciens utilisant désormais des synthétiseurs, et des boîtes à rythme. À noter que la Jamaïque, ex-colonie britannique possède une importante diaspora en Angleterre, notamment à Londres.
Au début des années 1980, la house et la techno apparaissent elles dans des clubs de Chicago, New-York et Detroit, aux États-Unis.
Mais c’est à partir du moment où l’acid house américaine débarque dans les raves britanniques entre 1988 et 1989, qu’une véritable scène électronique se développe au Royaume-Uni.
La techno, et la house (aussi appelée garage), centrés sur le rythme, avec la grosse caisse sur chaque temps, se propagent chez les Anglais. Ces derniers proposent très rapidement leur propre version de ces genres musicaux, par essence des musiques de danse.
Ainsi apparaît le breakbeat, qui utilise des breaks de batterie de morceaux funk, (comme les premiers morceaux hip-hop), ce qui ouvre la voie à la jungle au milieu des années 1990 : celle-ci renforce la présence des breaks, tout en les accélérant.
Ce genre sombre donne le ton à son héritière, la drum and bass, plus répétitive, plus sombre et utilisant des lignes de basse. Parallèlement, ce qui est désormais étiqueté UK garage évolue lui aussi.
Le « speed garage », proche de son homologue américain par sa rythmique régulière (en 4/4), côtoie le « 2-step garage » : Même si les deux branches utilisent du breakbeat en Angleterre, le 2-step est celui qui prend le plus en compte son caractère syncopé, avec 2 kicks irréguliers par mesure (donc pas 4/4).
Ces variations anglaises du garage, au départ plutôt rapide, ralentissent à 130 battements par minute avec la baisse de popularité de la jungle. Le UK garage devient ainsi le nouveau son électronique à la mode en Angleterre, se mélangeant avec d’autres musiques dites « urbaines », notamment le style vocal du RnB. On est là à la fin des années 1990.
Mais à partir de 1999, la scène UK Garage commence un peu à tourner en rond. Des producteurs comme El-B, Zed Bias, J Da Flex, expérimentent à cette époque des morceaux plus minimalistes, plus sombres.
Ils imitent l’ambiance de la drum and bass tout en y laissant beaucoup plus d’espace. Cette sobriété s’impose en réaction au côté vocal du garage d’alors, considéré comme trop « pop », pas assez underground.
Les samples vocaux sont remplacées par des lignes de basses similaires à celles du speed garage, mais plus profondes, et répétitives : elles viennent apporter une couleur dub à l’ensemble, le tout à 140 battements par minute.
Ghost – Bison « Bison » de Jay Da Flex. 3e track de « The Club », sorti en 2000 sur le label Ghost d’El-B
La naissance du dubstep est toute proche.
2000–2004 : de nouveaux artistes investissent radio, magasin de disque, soirées…
Ce renouveau stylistique inclut aussi au passage le rap anglais, puisqu’avec cette nouvelle esthétique sombre se développe le « grime », dont l’éminent représentant est Dizzee Rascal (l’idole britannique d’Orelsan qui lui a offert un feat. dans « Zone », en 2017). Ce rap très londonien est le frère du futur dubstep. C’est en l’an 2000 que Neil Jolliffe et Sarah ‘Soulja’ Lockhart (depuis devenue cheffe de la direction artistique de Sony Music UK) créent Ammunition Promotions¹.
Par cette société, les deux vont créer plusieurs labels spécialisés dans cette frange du dark garage amenée à se développer.
On peut citer Shelflife, Soulja, et surtout Tempa, qui restera longtemps le label culte de la naissance du dubstep.
Ammunition organisera également dès 2001 la soirée Forward (FWD>>) au Velvet Rooms à Soho puis au club Plastic People à Londres.
Les DJ organisateurs de la soirée animent souvent une émission sur la radio pirate Rinse FM, très importante dans la diffusion du son underground anglais.
Parmi cette petite équipe résidente à Forward, on trouve le DJ Hatcha, qui travaille avec Artwork à Big Apple Records, un magasin de disques de Croydon, dans la banlieue sud de Londres. Big Apple va servir de véritable point de rencontre pour tous les adeptes de « dark garage » dans le sud de Londres.
Bref, des labels, une soirée, des diffusions radio, et un magasin de disques, constituent un réseau idéal pour le développement du genre.
Il ne reste plus qu’à lui trouver un nom : personne ne sait vraiment qui est l’inventeur entre Kode9 et son “Dubsteppa Mix”, Neil Jolliffe parlant du fait que le dark garage est influencé par le dub, ou Hatcha à Big Apple… Toujours est-il qu’en juillet, la 60e couverture du magazine XLR8R, basé à San Francisco, lance publiquement le terme « dubstep » à l’occasion d’un article sur le trio Horsepower Productions.
Seule image disponible sur le web de la fameuse couverture du magazine. (source : 12edit, article “Dubstep”)
« Shakleton était très mal à l’aise avec le terme, mais il nous inspirait. Je ne sais pas vraiment ce qu’est le « dubstep », en fait. C’était juste un sentiment, un groupe de personnes, et un club – FWD>> -. Il n’y avait pas beaucoup de restrictions, juste ce que l’on devait faire pour y arriver. Je n’y réfléchissais pas beaucoup en tant que producteur, mais ça m’inspirait très clairement. Dans tous les cas, beaucoup des producteurs iconiques du genre appréciaient cet état d’esprit originel. »²
Appleblim (musicien), 2008
Le 1er étage de Big Apple, où se trouvent les cabines d’écoute, va devenir un repère pour quelques passionnés.
C’est là-bas que se rencontrent deux producteurs qui vont contribuer à donner ses lettres de noblesse au genre : Benga et Skream.
Il faut bien se rendre compte qu’à l’époque les deux amis ont à peine plus de 16 ans, et font pourtant pleinement partie de la scène dubstep dès 2003³.
L’année suivante, deux habitués de Big Apple, Mala et Coki, forment le duo Digital Mystikz et lancent leur label DMZ. Le crew qui se forme progressivement, avec Loefah puis plus tard Sgt Pokes, forme un pan « dub » de la scène, promouvant leur devise « meditate on bass weight ».
Le « listening booth » au 1er étage de Big Apple. (source : Facebook de Big Apple, date inconnue)
Fin 2004, on peut déjà citer beaucoup de DJ qui se spécialisent dans ce dark garage : d’abord les pionniers : Zed Bias, Oris Jay, El-B, Steve Gurley, Benny Ill, J Da Flex, Wookie, puis Hatcha, Youngsta (directeur artistique de Tempa), le groupe Horsepower Productions (dont fait partie Benny Ill), Plastician, Artwork, Benga, Skream, ou encore Kode9 fondateur du label Hyperdub en 2004.
Quelques-uns de ces producteurs se retrouvent sur la première compilation de la série Dubstep All-Stars créée par Hatcha pour Tempa.
DMZ, remarqués par John Peel, célébrissime DJ à la BBC, publient quant à eux deux compilations nommées curieusement Grime et Grime 2 sur Rephlex, le label d’Aphex Twin.
Planet Mu, autre label IDM commence aussi la même année à sortir des titres dubstep. Le grime (« crasse » en anglais) est en pleine explosion à l’époque, plus que son frère instrumental; cela explique sans doute le fait qu’à l’époque, de nombreuses personnes ne voient le dubstep que comme des instrus grime.
De fait, la première moitié des années 2000 est encore une époque de tâtonnements sonores, le dubstep englobe tout ce qui est à 140 bpm et qui se concentre seulement sur la basse : ainsi, de nombreux morceaux intègrent volontiers des breakbeats, comme les compositions de Vex’d ou Toastyman.
Codification du genre, et montée en puissance (2005–2007)
Revenons à Skream, son heure de gloire arrive en 2005 avec son titre Midnight Request Line, véritable hymne dubstep qui sera inclus dans l’album « Skream ! » qui sort l’année suivante sur Tempa.
Skream – Midnight Request Line
Pourquoi Skream, c’est culte ? Avec Benga, les deux sont connus pour leur style pour le moins minimaliste, mais surtout pour avoir défini le son dubstep.
C’est entre autres à cette époque que la majorité des producteurs du genre abandonnent le rythme très syncopé signature du 2-step garage, pour quelque chose de plus « simple », pourrait-on dire, un kick/snare sur les 1er et 3e temps : ce qu’on appelle du « half-time » : de quoi donner de l’espace dans les morceaux.
La sortie de l’album accélérera la popularisation du dubstep, qui se différencie de plus en plus du garage.
C’est à la même époque que le journaliste et DJ Martin Clark (alias Blackdown) commence à écrire une chronique « The month in grime/dubstep » tous les mois dans le magazine Pitchfork.
Ce chroniqueur est l’un des tous premiers à s’être intéressé à cette vague dark garage, et l’a remarquablement documenté, au travers de ses écrits, de ses interviews, pendant sept ans.
Toujours en 2005, Pinch, un DJ reconnu pour ses mélanges de genres, crée Tectonic Records sur lequel de nombreuses sorties vont rapprocher entre autres le dubstep et la techno⁴.
De leur côté, Mala et Coki lient leur label DMZ à une soirée éponyme en mars 2005. Celle-ci monte très rapidement en popularité, elle est même forcée de se déplacer dans une plus grande salle pour son premier anniversaire devant l’afflux de 600 personnes.
Label, et désormais soirée, DMZ va notamment avoir comme participante une certaine Mary Anne Hobbs qui y découvre le dubstep.
Mary Anne Hobbs, c’est pas n’importe qui : elle anime depuis 1997 l’émission Breezeblock sur la Radio 1 de la BBC, où elle défriche les musiques électroniques expérimentales.
Hobbs se passionne pour le dubstep, et devient une sorte de marraine du genre dans la nuit du 9 au 10 janvier 2006, en organisant Dubstep Warz, émission spéciale qui réunit des poids-lourds comme Mala, Loefah, Sgt Pokes, Skream, Kode9, Spaceape, Vex’d, Hatcha… bref, beaucoup de monde.
Mary Anne Hobbs – Dubstep Warz [Skream, Mala, Kode9 + more] – BBC Radio 1 – 10.01.2006
Cette émission reste encore aujourd’hui historique pour les amateurs de dubstep, car son influence fut colossale.
Pour bien se représenter le paysage radiophonique britannique, Radio 1 est la radio « pour les jeunes » du réseau BBC.
Celle-ci diffuse de la musique contemporaine et bénéficie d’émissions variées profitant des multiples scènes musicales très dynamiques de Londres et du reste du pays.
C’est donc un énorme porte-voix qui profite au dubstep début 2006. Mary Anne Hobbs et Mala iront mixer ensemble au festival Sonar de Barcelone les années suivantes.
À la conquête du Nouveau monde
Même si l’opposition dubstep/brostep est souvent liée à une opposition Royaume-Uni/États Unis, le dubstep arrive en Amérique bien avant la vague brostep.
Joe Nice est crédité comme le premier DJ à avoir joué du dubstep et organisé des soirées autour du genre aux États-Unis.
Natif de Baltimore, c’est lors du Starscape Festival, dans sa ville, qu’il entend pour la première fois des productions de Hatcha.
Dès lors, il va agir comme le premier promoteur du dubstep aux Etats-Unis enchaînant les voyages en Angleterre pour se plonger dans la scène underground originelle.
Hatcha et les autres commencent à régulièrement tourner aux USA, lorsque Joe Nice et son ami Dave Q lancent en 2005 à New-York la première soirée dubstep américaine : Dub War.
Le grand succès qui en découle pousse d’autres DJs à organiser leurs propres soirées dédiées au genre.
« Il y avait Grime City à San Francisco, et des soirées à Chicago, Boston, Houston, LA, Seattle et Portland. Il y a eu rapidement un petit milieu de DJ ne mixant que du dubstep, gravant des dubplates, on y était. »
« Je ne veux pas me revendiquer comme “le mec à l’origine”, mais beaucoup de personnes ont vu que si on pouvait le faire à New-York, ils pouvaient probablement eux aussi le faire »⁵
Joe Nice (DJ), 2012
À partir de l’été 2006⁶, le label SMOG promeut le genre et organise des soirées dubstep à Los Angeles.
C’est dans ce petit milieu que vont se rencontrer entre autres Flinch, 12th Planet, et un certain Sonny Moore, tout intrigué par cette nouvelle mode britannique lorsqu’il découvre le genre en 2008.
Au Canada, 2006 est aussi l’année où Excision commence sa carrière de DJ.
Il créera Rottun Recordings en 2007 et fera son premier Shambhala Mix en 2008, mais chut, on est déjà trop loin dans le temps !
Entrée dans les charts anglais et reconnaissance internationale (2007–2012)
L’émission Dubstep Warz est arrivée pile au moment où le genre réussissait enfin à se définir, et à sortir de l’étiquette « dark garage » qui lui collait à la peau.
Parce que oui, globalement, même les gens qui prenaient part à la scène n’ont véritablement commencé à avoir conscience de leur spécificité qu’entre 2004 et 2006, au moment où le genre se codifie musicalement.
Ainsi, des soirées dubstep vont fleurir en dehors de Londres, à Bristol, à Leeds, à Manchester, etc…⁷
2006, c’est aussi l’époque d’une nouvelle génération de producteurs.
Caspa (créateur du label dubstep et grime Storming Productions, puis de Dub Police et Sub Soldiers en 2006 et 2007) repèrera Rusko en 2007.
Quasiment deux ans après Dubstep Warz, les deux DJ sortent fin décembre 2007 leur Fabric.live Mix, généralement considéré comme la toute première pierre du dubstep « populaire ».
Ce mix, (au passage réalisé à la dernière minute après l’annulation de celui du groupe Justice) utilise des morceaux un peu moins introvertis, plus ouverts, avec des wobbles plus centrés sur les moyennes fréquences.
Le genre semble déjà à l’étroit, alors que plusieurs artistes sont déjà étiquetés « post-dubstep ».
Rusko, lui, va s’amuser avec les codes du dubstep, en exagérant ses spécificités, comme la présence de la basse.
L’une des inspirations de ce nouveau son plutôt humoristique est Coki, qui dévoilera en 2007 des tubes innovants comme Spongebob, ou encore le fameux Night, featuring Benga.
Notez la plus forte présence des fréquences moyennes.
Outre le côté dub et breakbeat particulièrement poussé chez Rusko, on remarque les leads un peu criards, comme des sirènes, et le jeu avec des samples vocaux.
Ce type de morceau plus « dansant » qu’introspectif, va vite passer d’une fréquence épisodique à un véritable monopole au sein des mix dits « dubstep ».
C’est d’ailleurs à la même époque que le « purple dubstep », ou « wonky », poussé par la scène grime propose une version moins sombre que le dubstep initial, adoptant des sonorités plus funky, et partageant les basses avec des sons de synthé plus pop, une sorte de branche alternative dans la même démarche que le post-dubstep.
Développé depuis 2007, le purple semble avoir eu ses heures de gloire entre 2009 et 2011, notamment avec son représentant incontesté, Joker⁸, ou encore Rustie et son éclectique album Glass Swords très apprécié par la critique.
Une époque en forme de point d’interrogation, pour un dubstep créatif, qui se cherche et se meut dans de multiples directions.
« Le truc avec le dubstep, qui le rend tellement intéressant pour n’importe quelle autre scène, tu as la percussion et la basse, et c’est comme ça tout au long de la nuit, du début à la fin, au même tempo, avec le même rythme. Avec la house, tu as le boom, boom, boom, boom. Avec le dubstep, c’est toujours la même vitesse, à 140 BPM, mais c’est partout. Tu as tellement de producteurs différents qui font du half-step, des trucs qui tapent, un son plus tribal, plus reggae, ou bien techno. Il y a tellement d’influences musicales dans le dubstep. C’est pour ça que c’est un univers sonore tellement intéressant. »⁹
Hatcha (DJ producteur), 2008
A posteriori, on peut dire que le Fabric.live de Caspa et Rusko a agi comme le déclencheur d’un mouvement. Quelque part, le duo ne fait plus du dubstep, il produit un autre genre de musique, qui va être révélé mondialement quelques années plus tard. Et là normalement vous commencez à sentir arriver le brostep. On y est…bientôt. Pas maintenant tout de suite.
Charts
Avant Skrillex et compagnie, la forme originale du dubstep a fini par atteindre le haut des charts anglais et intéresse le paysage musical mondial à la fin de la décennie 2000, comme un de ces nouveaux genres électroniques que seul le Royaume-Uni peut faire apparaître.
Rusko fera partie, avec Chase and Status notamment, des producteurs anglais qui vont se retrouver pendant tout un moment à infuser la pop music en collaborant avec des grands noms.
Depuis 2004, le dubstep, sous plusieurs formes, progresse lentement dans les charts anglais, avec un pic entre 2008 et 2011.
Skream remixe la chanson In For the Kill de La Roux en 2009 et remporte un grand succès en Europe.
Le producteur, avec Benga et Artwork, sort en 2010 le projet Magnetic Man, un album représentant l’aboutissement du UK dubstep mélangé avec de la pop music, notamment avec la voix de la chanteuse Katy B.
Plusieurs de leurs singles seront dans le top 10 des charts britanniques. Cependant la place de n°1 ne sera atteinte qu’à l’arrivée des premières compositions « brostep » anglaises.
Sources
— Tous les liens ont été vérifiés le 18 septembre 2024 —
¹ “Ammunition Promotions Ltd.”, sur Discogs.
² Carnes Richard, “Appleblim: Dubstep is a feeling”, sur Resident Advisor, 18 juillet 2008.
³ “Artwork talks Dark Garage Music, Djing and Magnetic Man”, retranscription sur Red Bull Music Academy, 2011.
⁴ Citizen John, “2562: Dubstep in the area”, sur Resident Advisor, 21 juillet 2008.
⁵ Dowling Marcus K., “INTERVIEW: JOE NICE and the HISTORY OF DUBSTEP IN AMERICA, PART TWO”, sur The Couch Sessions, 17 janvier 2012, [traduction personnelle].
⁶ “SMOG — 2 Years of Dubstep in Los Angeles”, sur YouTube, 23 octobre 2008.
⁷ McFadyen Alex, “Croydon, community, soundsystem culture: Tracing the history of dubstep”, sur Redbull, 12 juin 2020.
⁸ Jones Charlie, “The Dummy guide to purple”, sur Dummy, 28 juin 2012.
⁹ Darkside, “Hatcha Interview”, sur GetDarker, 23 juillet 2008, [traduction personnelle].
Bibliographie indicative
Articles, posts
Flatley Joseph L., “Beyond lies the wub: a history of dubstep”, sur The Verge, 28 août 2012.
jinomusicuk, “Identity, aesthetics, culture and history about dubstep 1&2”, sur dubstepforum.com, 30 octobre 2011.
Kek-W, “From the Archives: Dubstep Blows Up”, sur Factmag [publication originale : 2006].
McFadyen Alex, “Croydon, community, soundsystem culture: Tracing the history of dubstep”, sur Redbull, 12 juin 2020.
Palladev George, “Dubstep”, sur 12edit.
Vidéos, documentaires
BearingUK, “5.3) That UK Sound – The Sound of Dubstep”, sur YouTube, 21 juillet 2020, 1 heure 6 minutes.
Studio Rarekind, “Bassweight: A Dubstep Documentary – 2010”, sur YouTube, 25 mai 2017, 1 heure et 1 minute.
Timbah.On.Toast, “All My Homies Hate Skrillex | A story about what happened with dubstep.”, sur YouTube, 28 janvier 2020, 53 minutes.
2 – Le triomphe du brostep
Skrillex sur la scène de l’Electric Daisy Carnival de Las Vegas, en 2019
Dans la première partie, nous nous sommes concentrés sur l’apparition du genre à Croydon, au Sud de Londres, sur les cendres du UK garage au début des années 2000.
Sur une dizaine d’années, cette forme particulière de garage, sombre, introspective, mélangeant basses dub et rythme 2-step, révolutionne la scène électronique anglaise.
On est arrivé vers 2007–2008, une période de transition entre le dubstep et ce qui va être appelé le brostep, aux sonorités moins basses, et plus agressives, plus électro.
La popularisation massive
Depuis quelques mois, entre les expériences sonores de Rusko, et l’incursion de wobbles chez des pop-stars comme Britney Spears¹, le dubstep est véritablement entré dans une toute nouvelle dynamique.
[HD] Bar9 – Shaolin Style (Nero remix) [Full]
Faisons déjà place à de nouvelles têtes : en Angleterre, le groupe de drum’n’bass Nero se met au dubstep, ainsi que les nouveaux Bar 9, Cookie Monsta, Doctor P, Flux Pavillion, pour ne citer que les plus connus.
Côté américain, on a Bassnectar, Excision, Datsik, et même le DJ electro house Deadmau5 qui va s’essayer au dubstep en 2010 tout en agissant comme un tremplin pour Skrillex.
L’israëlien Borgore va également beaucoup contribuer à la popularisation du son brostep.
En 2009, est créé le label Never Say Die par Skism et Mobscene.
En Amérique, au-delà du label pionnier SMOG, de nombreux labels comme ceux de Steve Aoki et Diplo, Dim Mak et Mad Decent se jettent sur ce « dubstep » survitaminé, prêt pour la fête, bénéficiant d’une réputation underground tout en étant déjà assez éloigné du dubstep originel.
Concrètement, comment le son évolue ?
La direction musicale que prennent Rusko et Caspa ne va guère changer : le dubstep va commencer à se mélanger à de nombreux autres styles de musique. Voici un bref résumé, par genre :
Tout d’abord, le dubstep va adopter quelques éléments rock et industriels dans la structure des morceaux, notamment la suppression d’éléments syncopés vers une rythmique 4/4.
On retrouve un son plus direct, moins introspectif, plus adapté pour des morceaux de danse grand public, dans une époque marquée par la bloghouse (par exemple des groupes comme Justice ou MGMT), et aussi par le rapprochement de la musique de danse avec la pop.
Non loin du rock, le métal, comme le dubstep de la toute fin des années 2000 sont deux genres particulièrement agressifs, et dans une certaine mesure, jouant sur la répétitivité. Ils partagent des récurrences sonores : la centralité du rythme, un son puissant, et des riffs très lourds, mis en boucle. Borgore et Skrillex proviennent d’ailleurs de groupes que l’on peut englober dans le metal.
Le chanteur de Korn prétendra même durant une interview avoir « inventé » le dubstep², ce qui fera évidemment bondir la communauté.
EXCISION – X Rated ft Messinian [OFFICIAL] Les riffs lourds
Puis, dans un registre plus électronique, les sonorités glitch ont naturellement accompagné les débuts du brostep : les sons de plus en plus criards, dont l’intérêt réside parfois uniquement dans leur répétition très rapide en un temps court, amène forcément une esthétique proche du bug informatique au dubstep : en ça, brostep et glitch-hop des années 2010 se rejoignent dans leur similitude avec la musique bruitiste.
« J’ai grandi en écoutant beaucoup d’Aphex Twin et d’autres choses de Warp Records, peut-être moins dansantes mais plus complexes au niveau de la production. J’aime bien mélanger cet élément glitch et fidget avec la dance music. Ça sonne très pressé et dans l’instant, parce que les choses sont en train de changer un peu plus. »³
Skrillex
Porter Robinson – Say My Name L’époque electro house/glitch-hop/brostep de Porter Robinson en 2010.
L’évolution du dubstep vers le brostep se fait aussi en incorporant des samples de voix, parfois repitchés, découpés, entrecoupés de phrases au synthé évoquant l’électro house, ainsi que des fameuses wobble basses.
Celles-ci se répètent par définition, mais ici la fréquence des LFOs va augmenter et varier plus souvent avec une palette de sons désormais plus tournée vers les fréquences moyennes qu’infrabasses.
Enfin, la standardisation de la structure en « drop » décuple la puissance des séquences « dubstep ».
Cette dernière n’est pas étrangère à la pratique du remix des chansons pop. Pour à la fois reconnaître le morceau original tout en intégrant du brostep de plus en plus extrême, les producteurs sont conduits à structurer le morceau de façon assez binaire.
Bien souvent, la chanson originale est contenue dans les parties calmes, ainsi que la montée, et le drop constitue le seul véritable élément sonore que le remixeur apporte, soit en faisant complètement autre chose, soit en intégrant quand même des bouts de phrase issus du refrain original, retravaillés pour avoir un effet glitch.
La Roux – ‘In For The Kill’ (Skrillex Remix) D’abord remixé par Skream, “In For The Kill” l’est aussi par Skrillex quelques mois plus tard en 2010.
Pour résumer, le dubstep assimile durant ces quelques années de multiples sonorités électroniques populaires : Il rejoint le train en marche de l’Electronic Dance Music.
Intégration au sein de l’EDM triomphante
L’explosion de l’EDM à la fin des années 2000, qui va propulser le dubstep s’explique notamment par son incorporation dans la pop music : À la fin des années 2000, après l’incursion de rythmes hip-hop dans les albums des pop-stars, celles-ci voient leurs morceaux véritablement évoluer vers des sons beaucoup plus dance, electro, une vague symbolisée par le succès fulgurant de David Guetta et des Black Eyed Peas. « I Gotta Feeling » est parfois considéré comme le tube qui a fait se rendre compte aux radios américaines qu’elles pouvaient désormais aussi bien passer des tubes rock que des morceaux électro.
C’est donc une conjonction de facteurs qui fait que les morceaux électroniques populaires de la fin des années 2000 ont pu intégrer temporairement des sonorités dubstep.
Dans ces cas-là, c’est souvent la plus caractéristique, la wobble bass qui revient.
Cette « EDMisation » du genre a aussi rapproché le brostep avec la techno et la dance qui, au tournant des années 2010, adoptait également un côté glitch.
On peut l’entendre dans le BPM, qui accélère progressivement dans certaines compositions, de 130, vers 140, jusqu’à 170 bpm.
Non seulement c’est plus propice à la danse et aux mixes EDM, mais en plus, les seconds drops vont pouvoir partir en drum’n’bass : bienvenue dans le drumstep.
D’ailleurs, la scène drum’n’bass (notamment influencée par le son agressif mais popifié de Pendulum) converge effectivement en cette fin des années 2000 vers un son centré sur des basses saturées, et très dynamiques.
C’est ainsi que des DJs comme les Dirtyphonics, Bassnectar, ou Nero vont participer aux deux scènes.
Alors que ces trois noms contribueront par leur style à un rapprochement avec les sonorités rock et heavy metal, le groupe de neurofunk Noisia influencera la scène de manière plus technique⁴, par leur sound design très innovant.
Ils contribueront grandement, par exemple, au son aujourd’hui considéré comme LA caisse-claire brostep, dont s’inspira Skrillex au début des années 2010 : un son à la fois percutant, rond, et parfois réverbéré, sorte de version boostée de la caisse claire de la TR-909. Allez, Skrillex, parlons-en :
Skrillex
S’il fallait retenir un nom parmi ceux qui ont popularisé mondialement le brostep, ça reste incontestablement Skrillex.
Sonny Moore de son vrai nom a, rappelez-vous, découvert le dubstep à L.A., en 2008.
Très vite inspiré par le genre, et profitant de sa maîtrise de synthétiseurs FM logiciels, Skrillex devient en quelques années un porte-étendard de la scène tout entière, avec l’aide de son « mentor », 12th Planet.
Plus que d’autres, Skrillex a su trouver une formule mélangeant l’énergie du rock avec des sons synthétiques ultra compressés, donnant au genre un stade de popularité impensable quelques années auparavant.
La même année, Skrillex est repéré par deadmau5, qui va le faire participer à la production de son album 4×4=12, dont certains singles baignent dans l’influence de ce dubstep « américanisé ».
De plus, le canadien le fait signer pour un EP sur son label mau5trap, très reconnu. C’est à quelques semaines seulement de la deadline en octobre 2010, que Skrillex va composer certains des morceaux de l’EP.
Parmi eux, il crée une bombe : Scary Monsters and Nice Sprites.
Enfin, sur le moment, il voulait surtout faire un petit morceau en plus pour compléter le disque. Mais, ce titre improbable à la structure bipolaire va propulser Skrillex à la fois dans les festivals, et sur YouTube.
Skrillex – Scary Monsters And Nice Sprites (Official Audio)
Entre mélodie filtrée et énergique, sons de monstres créés avec la synthèse FM et caisse claire iconique, Scary Monsters devient instantanément un standard qui définit le son brostep dans le monde.
En effet le single voit plus loin que les milieux underground anglais ou américains grâce à Internet, et aura une influence considérable sur toute une nouvelle génération de producteurs.
À l’époque, le morceau crée la surprise, et en consacrant son auteur, remet en question à la fois les barrières entre les genres musicaux et la façon dont une musique est pensée, et peut être popularisée (merci YouTube au passage).
L’EP entier sera aussi un succès avec notamment Rock n Roll, un son plus électro et glitchy que Scary Monsters.
Si Skrillex reste l’un des DJs dubstep les plus influents, c’est parce qu’il est devenu « monsieur » dubstep à la fois pour le public et pour les musiciens.
En 2011, il continue de collaborer, cette fois avec le groupe de nu-metal Korn sur leur album The Path of Totality.
La même année il sort une suite à l’EP Scary Monsters, puis, en décembre l’EP Bangarang. Le single éponyme est sans doute le tube de Skrillex le plus passé en radio, en tout cas en Europe.
La percée fulgurante du DJ le fait devenir l’un des premiers représentants de la toute jeune scène EDM aux Grammy Awards à partir de 2011.
Cette année-là, il gagne d’un coup le Grammy du meilleur morceau dance pour Scary Monsters, celui du meilleur album dance pour l’EP éponyme, et celui du meilleur remix non-classique pour sa reprise de Cinema de Benny Benassi.
Rebelote l’année d’après avec dans le même ordre Bangarang, l’EP entier et le remix de Promises⁵.
Au-delà du brostep, Skrillex est en fait un artiste très éclectique, ayant collaboré depuis avec de nombreuses têtes d’affiches notamment de la scène rap.
Un chanteur de rock produisant une dance music d’avant-garde tout en imprimant sa patte sonore chez des gros rappeurs.
Encore une fois, on peut qualifier Skrillex de « symbolique » à plus d’un titre.
Profusion d’artistes et diversification
Bref, entre 2010 et 2012, après les pionniers du brostep, entre le son S-F de Nero, les leads criards de Flux Pavilion et les growls monstrueux de Skrillex, une nouvelle vague d’artistes inspirés se lance dans le brostep, avec cette fois une véritable connexion avec le reste de la toute jeune galaxie EDM.
Parmi les plus connus, deux membres du groupe de drum’n’bass Pendulum, Rob Swire et Gareth McGrillen, lancent en 2011 le projet Knife Party.
Le duo distille un mélange unique influencé à la fois par le son de leur ancien groupe, le brostep, ainsi que par Swedish House Mafia, ajoutant une pointe d’autodérision dans un univers musical qui se prend parfois trop au sérieux.
Alors que mau5trap sort les premiers singles et albums pour certains artistes brostep, les premiers labels spécialisés comme Never Say Die prennent de l’importance, avec Skism, Zomboy, Dodge et Fuski, Eptic, Habstrakt, Laxx, les Bare Noize, le groupe de rock Modestep qui apporte un style très vocal, ou encore Figure, alliant drumstep et ambiance de films d’horreur.
Dans la lignée de Noisia, le duo Koan Sound fait swinguer le brostep en l’associant avec le neurofunk.
La chaîne YouTube de promotion UKF Dubstep aide grandement des artistes comme Zeds Dead, Blue Foundation à populariser leurs titres dubstep dans le monde entier. Chez OWSLA, le label de Skrillex, des noms comme Kill the Noise, Barely Alive, vont rapidement émerger.
Certains artistes que l’on ne peut classer autrement que dans la vague étiquette EDM testent le genre, comme Zedd, ou Porter Robinson, quant à l’inverse des producteurs revendiqués brostep tentent d’apporter une plus grande dose de dance music globalisée.
Cette période, entre 2011 et 2012 voit le brostep être assimilé par certains gros labels EDM comme Spinnin’ Records, ou Ultra Music, qui tentent d’en proposer une version plus electro house, vocale, plus populaire en somme.
Le côté vocal, d’abord tenté par Magnetic Man ou DJ Fresh dans un autre temps, se développe et persiste sous le nom de melodic dubstep, avec Seven Lions ou encore Cosmic.
Seven Lions with Myon and Shane 54 – Strangers (Feat. Tove Lo)
Certains diront que le dubstep se « commercialise ».
En fait, il accompagne la massification du public aggloméré autour de l’EDM.
Le bizness, essentiellement tourné sur les shows, se développe très rapidement entre 2010 et 2012. Une des caractéristiques de l’EDM est en effet celle d’une musique massivement diffusée durant de gros festivals.
Parmi les plus gros événements EDM, le millésime 2011 de l’Ultra Music Festival de Miami est la première édition à inviter toute une série de producteurs dubstep, de Skream, à Benga, jusqu’à Skrillex.
Avec plus de 300 dates par an au début des années 2010, Skrillex est, heureusement pour tout le monde une exception dans le monde des tournées et des concerts d’électronique.
Néanmoins son succès éclair booste la popularité de nombreux événements en Amérique et par écho dans le reste du monde.
L’UMF à Miami, l’Electric Daisy Carnival à Las Vegas, Tomorrowland en Belgique, l’EDM envahit même des festivals plus généralistes comme Coachella ou Lollapalooza⁶.
D’ailleurs, si “I Gotta Feeling” a fait dérouler le tapis rouge en radio, la pyramide LED de Daft Punk, dévoilée à Coachella 2006, a établi des standards en termes de synchronisation son-lumière, de spectacles, sur lesquels sont basés tous ces festivals électroniques.
2013-2015 : l’explosion de la trap
On avance un peu, à partir de 2013, une autre génération débarque, influencée par l’EDM globale : entre autres MUST DIE!, Virtual Riot, Pegboard Nerds, pendant que Dodge et Myro créent leur label Disciple et que Downlink crée Uplink Audio.
En même temps, un nouveau courant débarque dans l’EDM, tout droit rapporté du rap du sud des USA par Diplo, et ses recrues de Mad Decent : la trap music.
En 2013, coup pour coup le Harlem Shake et Turn Down for What changent le paysage de la dance music.
En fait, le genre va tout simplement se retrouver aux côtés du brostep dans la famille bass music de l’EDM, les deux s’influençant mutuellement, et ouvrant de nouvelles voies.
La trap, caractérisée par l’utilisation de sons de batterie TR-808 et par un tempo half-time, adopte le principe de drop, remplaçant des refrains par des samples de voix couplés à des synthés répétitifs, le brostep, quant à lui, adopte les rythmes robotiques de la TR-808, en particulier la caisse claire et les patterns de cymbales.
De plus, l’EDM digère en même temps que la trap music des éléments musicaux plus latins, avec des éléments de dancehall ou de reggaeton.
L’un des responsables de cet apport latin n’est nul autre que Diplo, avec son label Mad Decent, ainsi que son groupe Major Lazer.
Bref, la trap va influencer de plus en plus de producteurs, d’autant que celle-ci revient à une certaine forme de minimalisme dans les drops.
Zomboy – Nuclear (Hands Up)(sortie : 2013) | Un exemple de brostep sur rythme moombahton (et au 2e drop drumstep à 3:40)
Même si la trap est à la base minimaliste, le brostep continue à maintenir l’objectif d’aller dans les extrêmes, alors que le synthétiseur Serum relance la créativité des producteurs.
Le genre se scinde en une multitude de sons spécifiques.
Quelques musiciens optent pour un son plus lumineux, comme Ghastly, Getter, Slushii, Snails ou MUST DIE!, avec des caisses claires plus aigües et un sound design qui penche vers des suraigus stridents.
Globalement, de nombreux producteurs vont vers un sound design encore plus « sale » parfois appelé filthy dubstep ou « heavy » dubstep.
Un penchant bruitiste nommé officieusement deathstep, représenté par Code: Pandorum, se range quant à lui dans une catégorie bruitiste et très liée aux ambiances de films d’horreur (Figure est moins extrême de ce point de vue-là), et utilise des sonorités provenant du deathmetal.
Et puis, il y a les esthétiques S-F d’Excision, Downlink, Space Laces, ainsi que les sons métalliques de Getter ou Trollphace qui redonnent la part belle aux wobbles, après un trop-plein de growls à la Scary Monsters durant quelques années.
D’ailleurs, ces sons métalliques préfigurent l’avènement d’une régénération du dubstep EDMisé : la vague riddim.
“Les gens veulent toujours ce son extrême mais d’une autre manière. Ils n’appellent pas ça faire la fête, mais rager. Est-ce que tu sors rager ce soir ? C’est ça la culture qui nous entoure ici. L’énergie décide de la manière dont les choses bougent.”⁷
JVST SAY YES
Le règne du riddim (2013-aujourd’hui)
Car en effet, à partir du milieu des années 2010, un sous-genre du dubstep prend beaucoup d’ampleur, le riddim.
Le mot en lui-même vient du patois jamaïcain issu du mot anglais rhythm.
Dans l’univers du dubstep, il désigne une tendance assez particulière, fondée sur des basslines assez répétitives (avec souvent le même son durant tout le drop), un rythme simplifié au maximum (un kick et un clap) et une ambiance relativement minimaliste.
Il prend ses racines en Angleterre vers 2011, avec des artistes comme Jakes, Kromestar, Coffi ou Bukez Finezt, contrastant avec le brostep qui explosait parallèlement.
À partir de 2013, Subfiltronik et le reste du crew Monsters donne au genre le petit boost qui va lui permettre de se mesurer au brostep.
En effet, le flanger, et les rythmes trap se généralisent et transforment le riddim en un sous-genre parfaitement adapté à des mix « EDM ».
Lorsque, vers 2015, le riddim commence à remplacer le brostep dominant, ce dernier est confronté à une sorte de retour aux sources.
« C’est la combinaison parfaite entre les dubstep américains et anglais »⁸ RUN DMT
Le riddim, en effet est décrit par ses promoteurs comme le retour du son dubstep originel.
Parallèlement à la baisse de popularité du brostep, il renoue avec l’intérêt original du dubstep : l’énergie vient du rythme sur le long terme, et non d’un ensemble constant de stimulations criardes
Bommer x Crowell – Yasuo Inclus dans la compilation Battle Royale Vol. 1 de SMOG, sorti le 7 octobre 2014
« Le dubstep avait cette capacité à être dur, arrachant, direct. Le riddim puise bien plus son énergie dans un flux que dans le fait d’amener des sons violents. C’est une ambiance spéciale qui vous donne envie de bouger d’une façon unique. »⁹
INFEKT
Le sous-genre amène un nouveau terrain de jeu, dans un brostep qui peine à se réinventer sans se fondre dans la bass music globale.
Arrivé aux USA par l‘intermédiaire de producteurs comme Benzmixer, Airvalue, Allesnik, ou Megalodon, le riddim truste désormais tellement les DJ mix brostep que la pratique du chop (le fait de mixer deux morceaux de façon rapide) est devenue monnaie courante, tant les drops sont calés sur le même rythme.
Le riddim s’invite progressivement dans tous les gros labels historiques du brostep : Trollphace collabore avec Skrillex sur OWSLA, les compilations Battle Royale s’enchaînent sur SMOG, Never Say Die crée en 2015 la division Black Label, et le roster qu’amasse Disciple se met peu à peu à intégrer le riddim dans son brostep. Ainsi Virtual Riot connaît notamment un nouveau regain de popularité, avec ses talents créatifs et son sound design léché.
Le riddim de Phiso, Infekt, du breton Samplifire ou plus généralement de Disciple apporte également un côté humoristique qui tranche avec le brostep de Black Label, ou d’Excision « qui se prend au sérieux ».
À coup de phrases ou de sons de jeux-vidéo ou d’animes japonais, le second degré est omniprésent dans un genre tellement brutal qu’il en deviendrait ridicule.
Get Heavy x Heavy Dub with ECTO
La division Disciple: Roundtable recrutera aussi quelques pionniers du UK Dubstep, tels que Hatcha.
Le riddim réussit en ça à unir old school et new school à travers un genre aussi dynamique dans les labels EDM qu’en underground. La new school en elle-même est aussi reformée, après quelques années de tâtonnements et d’éloignements.
« Le riddim, c’est ce qui s’est passé quand la culture dubstep underground américaine de SoundCloud a remarqué ce que les anglais faisaient depuis le début. Pour moi, le riddim n’est pas un genre, c’est un adjectif employable seulement pour des morceaux dubstep, qui peuvent être de 1 à 10 sur l’échelle riddim ».¹⁰
SUBTRONICS
Le futur du riddim se dessine désormais dans les contrées de la bass music, semblant aller toujours plus dans le bruit, les samples stridents, comme les dernières sorties de Prime Audio, ou les bruits de combats d’épées ou de tronçonneuses chez Hekler, se mélangeant avec la freeform bass de Peekaboo ou de G-Rex, sorte de mélange entre trap et riddim.
Voilà donc où nous en sommes aujourd’hui en 2024 dans le dubstep mainstream.
Mais que devient le UK dubstep aujourd’hui ?
Le « vrai » dubstep ? Eh bien il vit, et même plutôt bien. Mais pour ça, rendez-vous la prochaine fois.
Références
— Tous les liens ont été vérifiés le 9 septembre 2024 —
¹ “The Genre Fix: The History Of Dubstep (Hosted and Mixed by RUN DMT)”, Kill Your Ego, SoundCloud, 07/08/19. [à 7:40]
² Mason Kerri, “Korn’s Davis: ‘We Were Dubstep Before There Was Dubstep’”, Billboard, 28/11/11.
³ Florino Rick, “Interview: Skrillex”, ARTISTdirect, 02/08/2020. [Traduction personnelle de : “I grew up listening to a lot of Aphex Twin and different things on WARP records that are a bit less danceable but more challenging on a production front. I like to mix that glitch and fidget element with dance music. It feels urgent and in-the-moment because things are changing a bit more”]
⁴ “The Genre Fix: The History Of Dubstep (Hosted and Mixed by RUN DMT)” [à 7:29].
⁵ Page Artiste : Skrillex, Grammy.
⁶ “The Economics behind the Thriving Festival Industry”, High Times, 2018.
⁷ Jenkins Dave, “Who The Hell Is: JVST SAY YES?”, UKF, 17/07/2015. [Traduction personnelle de : “People still want that extreme sound but in a different way. They don’t call it partying over here, they call it raging. Are you coming out to rage tonight? That’s the culture that surrounds us here. The energy dictates how things move”]
⁸ “The Genre Fix: The History Of Dubstep (Hosted and Mixed by RUN DMT)” [à 13:53]. [Traduction personnelle de : “It’s the perfect combination of the north American and UK dubstep styles”]
⁹ Jenkins Dave, “Infekt’s Guide To Riddim”, UKF, 27/10/2017. [Traduction personnelle de : « dubstep has that energy of being hard and tear-out and right in your face. Riddim gains its energy through much more of a flow and not just being crazy in your face stuff. It’s a special flow that makes you want to move in a certain way »]
¹⁰ Conte Chris, “The Rise of Riddim: What’s this latest bass craze all about?”, The Untz, 30/03/17. [Traduction personnelle de : “Riddim is basically what happened when the American SoundCloud underground dubstep culture noticed what the U.K. guys have been doing since day one. To me, riddim isn’t a genre, it’s an adjective specific to only dubstep songs, a dubstep song can be like 1–10 on the riddim scale.”]
3 – World Wide Wobble
Après deux premières parties centrées sur la grande histoire du genre, faisons un pas de côté pour regarder les quêtes annexes accomplies par le dubstep.
On parle ici de la survivance post-2008 d’un dubstep « deep », mais aussi du post-dubstep à travers la démarche du plus connu de cette frange, Burial. Puis, on part explorer l’influence du dubstep sur les autres musiques électroniques, et même “acoustiques”.
Enfin, penchons-nous sur la blessure originelle qui oppose dubstep et brostep, pourquoi existe-t-elle, et quelles en sont les raisons.
Par-delà les genres dominants
Malgré la transition vers le son brostep à l’aube des années 2010, de nombreuses organisations comme Get Darker, FatKidOnFire, White Peach Records, Duploc.com, ou plus récemment le label Deep Dark and Dangerous du groupe Truth, constituent la relève aux côtés des anciens Deep Medi, ou Chestplate.
De nouveaux producteurs, de nouvelles propositions vis-à-vis du dubstep underground arrivent encore aujourd’hui sur les sites de ces labels/webzine/communautés. Tout un penchant du dubstep s’est notamment concentré vers une musique plus ambiante, avec des sonorités parfois tribales, exotiques, ou horrifiques.
Même les labels historiques comme Tempa se penchent sur ce « dungeon sound » parfois désigné deep dubstep, ou dark, aux antipodes de l’énervement que veut susciter le brostep. Au contraire, on a presque l’impression ici d’avoir affaire à une musique de yoga, de détente; toutefois, les infrabasses sont toujours présentes, bien évidemment.
Aujourd’hui, le magasin en ligne Beatport regroupe tout ce pan expérimental du dubstep underground sous l’appellation leftfield bass, une expression n’employant pas le suffixe « -step », et convenant d’autant mieux à des artistes ne voulant pas être catégorisés trop vite, ou enfermés dans un style rien que par la dénomination.
Parallèlement au dungeon sound et à sa descendance, certains musiciens tentent de mélanger le dubstep avec le dub originel, ou plus innovant, avec le jazz : On peut citer Silkie, Swindle, Quest, Jay5ive, Harry Craze, Chord Marauders, L-wiz. Certains mélanges électroniques liés au dubstep, mais brouillant les frontières, ont toujours été beaucoup soutenus par Hyperdub et Tectonic. Ces deux labels sont notamment de gros contributeurs du post-dubstep.
Le post-dubstep de Burial
Alors, oui, peut-être qu’après deux articles sur le dubstep vous vous dites « putain mais mec t’as oublié Burial ». Je vais réparer mon erreur dès à présent.
Plus sérieusement j’ai décidé de parler de Burial spécifiquement dans la case post-dubstep, malgré le fait que ses premiers albums très médiatisés ont contribué à la popularisation du dubstep et font partie des plus gros succès du label Hyperdub.
En fait, j’ai mis du temps avant d’admettre que Burial faisait du dubstep.
Parce que, au niveau sonore on ne retrouve effectivement pas les wobbles, ni un rythme très régulier. Par contre, dès ses premières sorties en 2005, William Bevan de son vrai nom, va plus profondément que quiconque dans la retranscription sonore des rues sombres et grises de la capitale anglaise.
Il a compris, et intégré l’esthétique originelle du genre.
Toutefois, il ne s’arrête pas là, et en ça Burial doit sans doute être le premier DJ à s’inspirer du dubstep tout en le mélangeant avec d’autres styles (dans son cas l’ambient, le trip hop, et le UK garage).
S’inspirer ne veut ici pas dire reprendre tous les codes sonores d’un genre, mais faire la photographie de son âme en quelque sorte. Avec ses beats fracturés reprenant des sons de Metal Gear Solid, ses samples de voix repitchés, chopés, et ses drones sombres biberonnés au craquement de vinyles et autres artefacts, la musique de Burial est unique, et offre un nouvel univers, de nouvelles possibilités à l’esthétique sombre et urbaine du dubstep.
Ce côté fantomatique a d’ailleurs nourri les affirmations de journalistes rapprochant Burial avec le courant hantologique (un “genre” théorisé vers 2005 par le trio anglais de bloggeurs/journalistes/universitaires Mark Fisher, Simon Reynolds et Adam Harper ; l’hauntology rassemble les musiciens qui utilisent des samples d’un autre temps résultant dans des morceaux à la fois très actuels et emplis de traces du passé).
Ce côté réverbéré, distant, vient aussi du fait qu’il aborde le garage et la jungle de façon distante, n’ayant jamais été en rave¹. (Tiens tiens, parler de quelque chose que l’on n’a jamais vécu, ça ressemble à la synthwave tout ça !)
« Dès le départ, Burial a décidé d’éviter à tout prix le schéma mécanique et rigide qui a fini par faire stagner la drum and bass. Pour arriver à ses fins, ses rythmes sont arrangés intuitivement sur l’écran plutôt qu’avec une quantification rigide, créant des micro-hésitations et des dérapages dans le rythme. Ses caisses claires et ses Charleston sont noyées dans le fuzz et le phaser, comme des toiles d’araignée sur des instruments oubliés, et le mix est brut, grossier, plutôt qu’infiniment peaufiné. Mais peut-être le plus important, ses lignes de basse sont véritablement uniques. Distordues et lourdes, tout en étant chaudes et terreuses, elles ressemblent à la petite rafale de vent qui précède l’arrivée du métro »²
DEREK WALMSLEY, The Wire
« Ce mix est une œuvre d’art en lui-même. D’ailleurs, je pense que c’est la mosaïque sonore la plus merveilleuse que j’ai pu entendre de toute ma vie, ça ne sonne même pas comme si ça venait de notre planète, cela pourrait être une transmission venant d’une étoile dans une galaxie très très lointaine… et je ne sais pas pour vous, mais ça suscite au plus profond de moi-même des sentiments que je ne connaissais même pas, j’ai l’impression de tomber amoureuse de la musique à un niveau complètement différent et bien plus profond […] Burial, fais tomber les rideaux, la scène est à toi. La vie et le son ne seront plus jamais les mêmes après ça. »³
MARY ANNE HOBBS présentant Untrue aux auditeurs de Radio 1 en 2007
« C’est plus comme quand tu reviens d’une sortie quelque part ; dans un taxi, un bus de nuit, avec quelqu’un, quand tu marches pour rentrer à travers Londres tard dans la nuit, comme dans un rêve, et tu as toujours cette musique qui résonne en toi, dans tes veines, mais avec la vraie vie qui essaie de se mettre en travers. Je veux que ça soit comme un petit sanctuaire. C’est comme ce stand de thé ouvert 24h/24, dans la nuit pluvieuse, brillant dans le noir. C’est plutôt simple. »⁴
BURIAL, 2007
« Je veux faire des morceaux qui ressemblent à un espace dans Londres, mais aussi un espace dans un club ou dans nos têtes. Un club n’est pas si éloigné d’un moment où l’on écoute de la musique au casque »⁵
BURIAL, 2006
Après son premier EP South London Boroughs, Burial rencontre le succès dès la parution de son premier album en 2006.
The Wire le nomme album de l’année, et en fait le premier album dubstep (ou au moins qui en est grandement inspiré) à sortir de son propre réseau. L’année suivante, Untrue réitère l’exercice.
Ce style musical si frais, nouveau, et hype en Angleterre va se développer sous le nom de future garage.
Aujourd’hui de nombreuses productions portent cette étiquette caractérisant des beats UK garage très planants.
Pour finir sur Burial, disons que son travail s’inscrit dans une esthétique post-dubstep.
Toutefois l’expression, ne désigne aucun genre précis, mais regroupe les créations de quelques compositeurs originaux, comme James Blake, SBTRKT, Mount Kimbie… une scène UK plutôt encensée par la presse locale. Après ses deux albums cultes, Burial travaillera par ailleurs avec Four Tet ou encore Massive Attack, deux figures de la musique électronique anglaise.
Un genre inspiré des environnements urbains
On l’aura vu tout au long de l’évolution du dubstep originel et notamment avec Burial, le genre reflète particulièrement ses conditions de production, très urbaines. L’ambiance permise par le minimalisme du dubstep entre bribes de voix, samples et sons dissonants, répétitifs, très froids, évoque le goudron, le béton, le ciel gris de Londres.
Les éléments importés du dub vont particulièrement se retrouver comme éléments principaux et transcendants d’une espèce d’angoisse, de monotonie urbaine. L’emploi très prononcé du delay, et surtout les infrabasses semblant reproduire le ronronnement continu de la ville et des transports que l’on peut entendre résonner à l’intérieur des bâtiments.
« Comme le dit le philosophe et producteur anglais Steve Goodman/Kode09, le dubstep transforme l’urbain autant qu’il le reflète. Il explique notamment que c’est une musique basée sur les “propriétés acoustiques passives” de la ville. Le bruit généré par ce qui la constitue fait partie intégrante de la musique. »⁶
NICOLAS NOVA, 2011
Par exemple, quand de gros véhicules passent à côté de bâtiments dans lesquels vous êtes présents, les murs vibrent, et vous entendez seulement les fréquences basses du bruit du moteur.
Kode09 a d’ailleurs sorti un bouquin qui a l’air génial sur le son et sa capacité à susciter des émotions négatives : « Sonic Warfare: Sound, Affect, and the Ecology of Fear » (Guerre sonore: son, affect et écologie de la peur, disponible chez Audimat éditions en français), l’une des charnières du développement des sound studies dans les universités anglo-saxonnes ces dernières années.
Comment le dubstep a influencé la musique, notamment l’EDM et la Bass Music
Le dubstep aura massivement influencé l’EDM au niveau sonore. Par la structure des drops (même s’il partage cette responsabilité avec la trance, ou encore le garage).
Le genre aura aussi amené les basses à devenir un élément similaire aux sonorités vocales. Ici, les sonorités aiguës comme la voix humaine, qui occupent habituellement le rôle central, sont remplacés par la basse, qui a une véritable mélodie.
Certes cette mélodie est moins concentrée sur les notes de musique « classiques », que sur le changement de fréquence des filtres, très rythmiques.
Par ce rôle prépondérant de la basse, le dubstep, plus que ses grands frères, comme le dub, invente un nouvel équilibre, un nouveau rapport des instruments entre eux. Cette arrivée d’infrabasses qui vont progressivement monter vers les fréquences centrales à la fin des années 2000 dynamise par ailleurs comme jamais le sound design de la dance music, créativité notamment permise par les synthétiseurs FM et à table d’ondes que sont par exemple FM8 et Massive de Native Instruments (on en parle plus loin).
Autre apport majeur : le dubstep devenu brostep, en tant que premier style caractérisé par un phénomène de mode (auquel la trap succédera) au sein de l’EDM, standardise l’utilisation de sons de batterie très produits. Les grosses caisses et surtout les caisses claires brostep, vont s’immiscer dans une grande partie du paysage EDM, même dans les styles les plus « chill ».
En s’adaptant et en évoluant légèrement, bien sûr. Même l’usage des LFO se popularise, en témoigne l’explosion de la future bass : les accords complexes souvent entendus dans les drops sont modulés avec des LFO, de manière similaire à ce qui peut être entendu avec les basses dubstep.
Ce genre fusion de la fin des années 2010 est d’ailleurs avant tout le fils de la trap et de la branche melodic du dubstep.
Aujourd’hui le brostep fait partie de la sous-branche EDM de la bass music, qu’il a en quelque sorte cofondé avec la drum’n’bass et le UK garage à la fin des années 2000. Vers 2013, la trap music s’ajoute à l’ensemble qui devient un paysage musical permettant de classer de nouveaux sous-genres issus de la fusion des originaux, ainsi que d’autres genres gravitant autour de l’EDM.
Ainsi, le producteur Jauz va créer en 2014 ce qu’on peut appeler la wobble house, ou la bass house, sorte de penchant house du dubstep, équivalent EDM du genre « bassline », originaire de Sheffield en Angleterre.
S’y embarquent bientôt de nombreux producteurs brostep, comme Habstrakt, Datsik et Bais Haus sous le nom de Ephwurd, Dodge sous le nom JVST SAY YES, et Joyryde, véritable maître du genre, arrivant à la fois à innover tout en rappelant aux oreilles le groove du speed garage par ses sonorités et la structure de ses morceaux.
JOYRYDE – HOT DRUM [Official Audio]
En dehors de la bass house, malgré tout relativement à l’étroit dans ses codes, une nouvelle génération de producteurs tente dès la deuxième moitié des années 2010, une synthèse de toutes les influences qui font la bass music, et plus si affinités. L’un des grands leaders de ce mouvement est une leader : en effet, la canadienne Rezz, repérée par Skrillex puis signée sur mau5trap, est la productrice la plus en vogue dans son milieu, ayant réussi à populariser la midtempo bass : entre sound design de basses, rythmes techno et ambiance hypnotique minimale. (Si vous avez du mal à saisir le genre, considérez que les meilleurs morceaux de Gesaffelstein, au début des années 2010, ont fondé le genre).
REZZ x Deathpact – Life & Death
Derrière elle, apparaissant sur certains morceaux de ses albums, des noms énigmatiques comme 1788-L, 13, Blanke, Deathpact, One True God (ou même KAVARI pour le penchant bruitiste expérimental).
Chez mau5trap ou d’autres labels indépendants comme Synesthesia, de nombreux producteurs continuent de tracer le chemin d’une bass music hors riddim qui n’a pas fini d’évoluer, retrouvant parfois des sons disco ou glitch très inspirés de Justice. Décidément, les deux français sont partout.
Mais, bien sûr, il existe des tonnes d’autres artistes et de sous-genres différents qui s’inspirent du dubstep et du brostep.
Au-delà de l’électronique
Plus généralement, le dubstep et son petit frère hyperactif influencent depuis les années 2010 divers projets musicaux, profitant de l’impact sur la scène musicale permise par l’inclusion au sein du parapluie EDM.
D’abord, côté rock, au-delà du déjà mentionné The Path of Totality de Korn, produit en 2011 avec de nombreuses stars du brostep, Muse a tenté de faire du dubstep avec des guitares, sur le dernier morceau de leur album 2nd Law en 2012.
Muse – The 2nd Law: Unsustainable(Album sorti le 28/09/12)
Dans un registre plus tranquille, le groupe anglais Submotion Orchestra arrive à intégrer dans ses morceaux soul contemplatifs, aux accents jazz, des delays dub et une structure minimaliste laissant la place à des patterns de batterie et des wobbles typiques du dubstep.
Bref, le groupe montre la preuve encore aujourd’hui que la vibe dubstep peut être fidèlement reproduite à partir d’instruments acoustiques ou simplement électriques.
Submotion Orchestra – Variations [Official Music Video]
Côté instruments à vent, peut-être avez-vous déjà entendu le trio américain Too Many Zooz.
Décrivant leur style comme de la « brass house », le percussionniste, le trompettiste et surtout le saxophoniste baryton font danser les foules du métro new-yorkais autant que des festivals avec une structure et une rythmique inspirée de la house, et, parfois du dubstep, lorsque Leo P, le baryton, produit des sonorités proches des meilleurs growls de Skrillex.
Too Many Zooz – House of the Glass Red, Pt I (Audio) | Fanimals
Toujours chez les instruments à vent, le trio Moon Hooch produit une sorte de dance music à la fois punk et électronique.
Profitant d’une maîtrise parfaite de toutes les techniques de jeu d’avant-garde, ainsi que d’instruments rares et adaptés, les deux soufflants, accompagnés par leur batteur, sont capables de faire danser des salles non-stop pendant deux bonnes heures avec leurs clarinettes basses et leurs saxophones.
Le youtubeur Andrew Huang a réalisé plusieurs vidéos de sound design avec Moon Hooch.
Et puis pour revenir à ce début des années 2010, même si le brostep n’a jamais conquis les charts, et a quand même conservé un certain public, on ne peut pas nier que ses caractéristiques-clés l’ont placé dans le sens du vent, à une époque récemment révolue où la pop a vécu son moment maximaliste.
Entre gueule de bois après la crise de 2008, et intégration de rythmes électroniques et de synthétiseurs évoquant la dance music, la pop américaine du début des années 2010 est insouciante, ou du moins se veut plus que jamais insouciante, fantaisiste et divertissante, placée sous le signe de la fête, infinie.
Durant cette ère maximaliste, on peut au moins citer deux sous-périodes entre 2009 et 2013.
Et la pop dans tout ça ?
Juste après la période où la pop américaine et ses producteurs commencent à se mettre à l’électronique sauce EDM (fin des années 2000), la période qui suit fut, avec notre regard contemporain, davantage une parenthèse, un test, qu’une véritable mode.
En effet, cette période où la pop a tenté de récupérer le brostep s’est avérée peu fructueuse.
Entre une esthétique qui s’y prête peu, une mise en avant hasardeuse, et parfois un manque de qualité sonore dans les productions ressemblant à du bricolage, le dubstep a vécu un court passage chez les pop stars, court, mais qui a au moins le mérite d’avoir existé.
Au niveau de la production, les pop songs avec du dubstep alternent entre des producteurs pop déjà bien ancrés et des artistes spécialistes du genre, invités pour donner une couleur « dernier cri » sur les albums des chanteuses pop.
Côté producteurs pop, Rock Mafia, Cirkut, ou encore d’autres comme les machines à tubes Max Martin et Dr. Luke ont tenté de reproduire les rythmes halftime, et les basses dubstep, de façon plus ou moins bien ficelée, essentiellement entre 2009 et 2013. Le titre de première chanson pop « dubstep » revient à Freakshow, de Britney Spears, sur “Blackout” (2007), notamment coproduite par les suédois Bloodshy & Avant (également créateurs de Toxic). Côté musiciens dubstep, Chase & Status sont venus produire deux sons sur le 4e album de Rihanna, « Rated R », en 2009 ; Rusko aura moins de chance, les quatre pistes coproduites pour « Femme Fatale » de Britney Spears (2011) ne seront finalement pas retenues pour l’album.
Malgré quelques tentatives, ce témoignage très bien formulé d’un utilisateur de Reddit résume le constat global que l’on peut en dresser : « Pendant à peu après 6 mois, le pont dubstep a remplacé le pont rap »⁷.
Il faut dire qu’il est particulièrement compliqué d’intégrer le dubstep dans la pop, pour plusieurs raisons. Le pont, cette façon un peu brutale d’implémenter une esthétique sonore très caractéristique et censée être éloignée de la pop se révèle davantage fluide et efficace avec du rap, qui reste une mise en avant de la voix, là où le dubstep remplace justement la voix par des basses synthétiques, à la limite du changement de morceau.
La galère continue ensuite dans la mise en scène des clips, où la nature et la profusion des sons dubstep rapprochent ces derniers d’effets sonores du cinéma : organiques et évolutifs, le fait de pouvoir presque entendre leur mouvement dans l’espace sonore, couplé à leur hyper-sophistication, fait tomber la suspension d’incrédulité devant un caractère extradiégétique trop marqué par rapport à la voix et aux instrumentations « classiques » (on sait que c’est du play-back, mais on n’a pas de représentation physique du son mis en avant, comme on peut voir une artiste chanter par exemple).
De fait, les ponts dubstep, dans certains clips, sont remplis visuellement par des chorégraphies relativement communes, dans un équilibre branlant boosté par des plans en slow-motion ou en accéléré, et un montage plus frénétique, halluciné (appréciez Pitbull, dans la playlist ci-dessous, qui ne sait pas où se mettre durant la séquence dubstep).
Toutefois plus globalement, les drops instrumentaux dans des morceaux comme « Where Have You Been » de Rihanna (2011), qui prennent une ligne de basse EDM plus commune, se retrouvent de toute façon peu ou prou avec le même problème durant quelques secondes.
Heureusement, il existe des exceptions : l’intégration s’est quand même bien passée dans certains morceaux pop: on peut même faire une mention spéciale à « Radioactive » de Imagine Dragons, qui réussit à marier rythme et sonorités dubstep au pop-rock avec le succès qu’on lui connaît, renouvelant sa veine un peu nu-metal/emo à la Three Days Grace.
Cette compatibilité entre brostep et rock « emo », n’est finalement pas surprenante, au vu de l’évolution stylistique et sonore d’un Skrillex, au hasard.
Britney Spears – Freakshow (Audio)
Relation entre le « UK dubstep » originel, et le « brostep » : le débat « EDM »
Musiciens et journalistes pointent assez tôt la très grande diversité des sonorités regroupées sous l’appellation dubstep, jugée réductrice.
Ce problème de dénomination se cristallise surtout à partir de 2008, 2009, quand les codes introspectifs du UK dubstep sont « brisés » au profit d’un son plus ouvert, sans toutefois cesser d’employer le terme dubstep.
L’omniprésence de ce nouveau genre, plus populaire (certains diront commercial) exaspère les « puristes », qui vont dès lors sacraliser l’origine légendaire du dubstep à Croydon, pour résister à ce qui va être désigné comme le bro-step.
« Pour moi, le dubstep est très expérimental, il n’y a pas de règles. C’était notamment le cas avec les singles sortis entre 2006 et 2007. Même si tu les achetais tous, ils avaient tous un son différent. Même maintenant, il y a tellement de sorties, tellement variées, que tu ne peux pas dire qui a composé un morceau quand tu l’écoutes. Et je pense que ça fatigue de plus en plus de gens en Europe. Les fans que j’aime vraiment retournent à la bass music old school. Quand j’écoute du dubstep fait par des artistes qui se disent « OK, je vais faire un son dubstep », je trouve ça très ennuyant. Les gens qui ont créé la scène, et qui sont toujours en train de faire de la musique dans le même style sont formidables, mais la musique faite par leurs héritiers est sans intérêt »⁸
GOTH TRAD, 2012
Ce terme que j’ai beaucoup prononcé part d’une blague provenant de la DJ Kozee qui en parle sur Twitter dès fin 2009.
Il devient ironiquement la dénomination officieuse pour parler de la frange américanisée du dubstep, mélangée au mot bro.
Pour résumer, le bro est le cliché de l’étudiant américain beauf, dans notre cas plus consommateur que véritablement « amateur » de musique. (C’est un préfixe/suffixe péjoratif que l’on retrouve dernièrement dans la critique des « cryptobros » les communautés amateures autour de la cryptomonnaie et des NFT).
Cette espèce de réaction « anti-américaine » vient du fait que le brostep se popularise majoritairement aux USA.
Ainsi, malgré le fait que de nombreux producteurs anglais soient des pionniers du genre, comme Nero, ou Flux Pavilion, le fossé est plus facile à creuser entre deux entités concrètes, l’Angleterre et les États-Unis, plutôt que deux genres musicaux qui utilisent le même nom.
Mais finalement, la culture populaire américaine n’est-elle pas un synonyme de culture mondialisée ? On peut effectivement aussi voir le dubstep comme un genre musical passé d’une sous-culture locale londonienne à un genre mondialisé, mainstream, « partout mais nulle part ».
Le conflit auto-annoncé par les puristes contre le reste semble presque toujours avoir existé, mais il aura atteint son apogée avec la montée de l’EDM, entité triomphante de la culture globalisée globalisante, que ses détracteurs décrivent comme une bouillie informe constituée d’une infinité de cultures locales. L’histoire très détaillée du dubstep de Croydon fait d’autant plus l’effet d’une légende qu’il contraste avec le manque de discours sur les origines du dubstep EDMisé.
Il a des racines mais beaucoup trop, ce qui conduit à le voir comme un genre musical déraciné.
Ce manque de concret, d’ancrage physique dans un lieu (ou au choix le rattachement vague à l’Amérique, ce qui revient au même), donne une raison de plus à la branche puriste et underground pour accuser le brostep de n’être qu’un produit commercial, pendant que ces groupements ont bien pris soin d’écrire une histoire du UK dubstep, avec pour base la ville de Croydon, sanctuarisée.
La confusion liée à l’emploi du mot « dubstep » pour deux choses différentes, fait également partie de ce combat, permettant de fantasmer les membres du mouvement brostep comme des sans-culture, des grandes gueules, voleuses d’authenticité.
« La culture EDM comme entité hétérogène et distincte fonctionne précisément en utilisant les stratégies homogénéisantes de l’historicisation typique des nationalismes, comme le mythe originel, et d’autres thématiques relatives à l’authenticité. En reconnaissant les stratégies nationalistes plus complexes de répulsion, plutôt que d’attraction, une vision transnationaliste de la culture nous permet de préserver une distinction culturelle comme très localisée, sans ignorer sa structuration homogène dans le cadre global. […] L’histoire de la migration musicale du dubstep — d’une identité sonore de l’underground de la banlieue du sud de Londres à une incroyable force dans les médias américains populaires — représente un cas d’étude singulier dans le terrain de plus en plus dialectique de la culture EDM. »⁹ MIKE D’ERRICO, 2015
La communauté UK dubstep a donc eu pendant toutes ces années le sentiment permanent de « perdre le contrôle » sur quelque chose qui « leur » appartenait. Ce revirement se fait notamment au niveau « philosophique ».
La culture autour du dubstep originelle, le “meditate on the bass weight”, est basée sur quelque chose de fermé, d’intérieur, tout le contraire de la fête “vulgaire” représentée par les bros américains qui se développe dans les années 2010 avec les festivals EDM.
Le brostep a sans doute eu d’autant plus de succès qu’il était confondu avec le dubstep, dont le nom évoquait immédiatement une culture underground initialement très intègre, qui chérissait sa propre histoire. Peut-être encore encore plus important que la philosophie : la mutation sonore vers le brostep rend l’écart particulièrement abyssal.
En termes purement musicaux : critique du drop (brostep et EDM en général)
En effet, concrètement, au-delà de moqueries sur l’auditeur fantasmé du brostep, certaines transformations musicales « concrètes » ont fait disparaître la vibe « originelle ».
La principale transformation est structurelle : alors que les transitions entre moments sans et avec bassline se remarquent par leur minimalisme dans le dubstep originel, le brostep EDMisé ne fait pas exception à la règle du drop.
Tout le morceau se concentre sur cette espèce de big bang musical qui fait danser les foules. Les Anglais aiment bien comme à leur habitude accoler à cette distinction une foule anglaise authentique, et une foule américaine étudiante et suivant simplement la mode musicale.
Autre victime du grand melting-pot avec les autres genres électroniques ; le côté purement instrumental.
En effet, l’assaut effectué par l’ajout de voix féminines surfaites dignes des plus grands tubes de Fedde Le Grand ou Benny Benassi sur une musique concentrée sur les basses conduit le genre à faire des concessions sur ses éléments authentiques.
D’ailleurs, du côté des basses, on l’a vu, l’obsession des wobbles, et la capacité de cet élément à être développé conduit les producteurs les plus hardis à se concentrer de plus en plus dessus à partir de 2007, comme Coki, Rusko ou Caspa.
« On avait les lignes de basse oscillantes. C’était cool, mais il faut être responsable avec le wobble. Quand c’est devenu un jeu de qui peut changer les niveaux, et jouer plus fort, et que c’est devenu un énorme festival de wobbles, on a totalement perdu l’intensité de l’effet original. »¹⁰ Joe Nice, pionnier du dubstep aux USA, 2012
« Le brostep est un peu de ma faute, mais maintenant je commence à le haïr en quelque sorte […] J’ai essayé d’y mettre un peu plus d’énergie […] Maintenant je pense que c’est allé trop loin, c’est devenu trop bruyant, le bruit pour le bruit… »¹¹ Rusko, BBC Radio 1, 2010
« Le dubstep est passé d’un genre pour les gens écoutant des sons à un concours pour savoir qui sonne le plus fort. Le principe initial était d’être un style inventif et organique, maintenant c’est à qui sera le plus méchant et le plus en colère »¹⁰ Joe Nice, 2012
« Le dubstep n’avait jamais été pensé pour être aussi agressif. Ses racines sont dans le dub, plus pacifique, donnant de l’espace pour que les morceaux respirent. Le dubstep signifiait avoir de la basse, pas tout dans les fréquences moyennes. C’est parti trop loin dans l’autre direction »¹⁰ Joe Nice, 2012
« C’était l’opposé complet de ce qui se passait dans le drum & bass, qui était dans la saturation des sens. »¹² Drew Best, co-créateur de SMOG, 2012
Ce qui est ironique c’est que le dubstep à la fois chez les pionniers américains de 2002, puis plus tard en 2007, était apprécié pour son côté plus calme que le drum’n’bass qui poussait petit à petit tous les curseurs depuis 10 ans.
Cette recherche du son maximal fatiguait le public underground américain lors de sa découverte du dubstep.
Il est donc intéressant de faire le parallèle entre le dubstep dont le minimalisme était reconnu jusqu’à la fin des années 2000, et le brostep qui est finalement devenu le genre musical qui se rapproche le plus de la définition de maximalisme.
Si vous suivez un peu sur le web toute la communauté de producteurs ou des vidéastes qui produisent des tutoriels, parce que, par exemple, vous cherchez à bosser sur Ableton ou FL Studio, vous vous rendez vite compte à quel point le niveau sonore est l’une des grandes obsessions dans la liste des choses qui vous fait vous dire que votre musique ne sonne pas encore comme Virtual Riot, avec ses growls surpuissants.
D’ailleurs au fil de ses différents tutoriels, Virtual Riot finit par tourner en dérision le nombre de plugins et la longueur des chaînes d’effet qu’il utilise, notamment l’utilisation presque mécanique d’OTT.
Ce compresseur multibande est devenu en quelques années le Kub d’or des producteurs d’EDM. Tant sa puissance et sa simplicité d’utilisation l’imposent partout, aux limites de l’abus.
par “dubstepfrom2005″, sur imgflip.com
En effet, comme un pied de nez aux critiques acerbes de la loudness war l’EDM ne se préoccupe guère des nuances dans la musique, au contraire : c’est une musique de danse, et électronique qui plus est.
Donc, le mot d’ordre, spécialement dans le dubstep est « The sky is the limit ».
Cette espèce de « syndrome OTT » est symbolique du caractère maximaliste de l’EDM, et en particulier du brostep.
Références
¹ Fisher Mark, “Burial: Unedited Transcript”, The Wire, 12/12.
² Ibid. “Burial decided at the outset to avoid at all costs the rigid, mechanistic path that eventually brought drum ’n’ bass to a standstill. To this end, his percussion patterns are intuitively arranged on the screen rather than rigidly quantized, creating minute hesitations and slippages in the rhythm. His snares and hi-hats are covered in fuzz and phaser, like cobwebs on forgotten instruments, and the mix is rough and ready rather than endlessly polished. Perhaps most importantly, his basslines sound like nothing else on Earth. Distorted and heavy, yet also warm and earthy, they resemble the balmy gust of air that precedes an underground train”
³ Mary Anne Hobbs Show, 19/12/07. [à partir de 0:51] “This mix is a work of art in itself. I have to say I think it’s the most wonderful mosaic of sound I’ve ever heard in my whole life, it doesn’t even sound like it was made on this Earth, it could be a transmission from a star in a galaxy far far away… and I don’t know about you, but this excites senses deep in my soul that I didn’t even know I had, and it makes me feel like I’m falling in love with music at a completely different and way deeper level… Burial let the curtain fall, the stage is yours. Life and sound will never be the same again…”
⁴ Hancox Dan, “‘Only five people know I make tunes’”, The Guardian, 26/10/07. “It’s more about when you come back from being out somewhere; in a minicab or a night bus, or with someone, or walking home across London late at night, dreamlike, and you’ve still got the music kind of echoing in you, in your bloodstream, but with real life trying to get in the way. I want it to be like a little sanctuary. It’s like that 24-hour stand selling tea on a rainy night, glowing in the dark. It’s pretty simple.”
⁵ Clark Martin, “soundboy burial”, Blackdown, 21/03/06. “I wanna make tunes that are like a space in London but also a space in a club or in your head. A club is not that dissimilar to sitting on your own with headphones.”
⁶ Nova Nicolas, “L’envers du dubstep, quand la musique raconte la ville”, OWNI, 21/03/11. [archive]
⁷ [Psirocking, “For like 6 months the dubstep bridge replaced the rap bridge”], commenté dans : ZombieBoy98, “The ElectroPop era was fun and exciting”, Reddit, 15/03/20.
⁸ E-Jima Naoki, “Goth-Trad: Inside the maze”, Resident Advisor, 12/01/12. “For me, dubstep is very progressive, there are no rules. That was especially the case for the 12-inches that came out between 2006 and 2007. Even if you bought them all, they all sounded completely different. Even now there’s so much being released and they’re so diverse that you can’t tell who wrote a track when you hear it. And I think there are more and more people in Europe who are getting tired of it. The fans I really love, they’re going back to the old school bass music. When I hear dubstep music made by artists who say to themselves, “Right, I’m going to make a dubstep record,” I find it really boring. The people who built the scene, and are still making music in the same style are great, but the music made by their followers is super dull.”
⁹ D’Errico Mike, “Electronic Dance Music in the Dubstep Era”, Oxford Handbooks, 01/15. “EDM culture as a heterogeneous, culturally different entity functions precisely by utilizing those homogenizing strategies of nationalism — historicization, the origin myth, and other authenticity tropes. In recognizing the more complex nationalist strategies of repulsion, rather than attraction, a transnationalist vision of the culture allows us to preserve cultural difference as highly localized, without ignoring its homogeneous structuring within the global framework. […] The story of dubstep’s musical migration — from the sonic marker of south London’s suburban underground to a ubiquitous force in American mainstream media — represents a single case study in the increasingly dialectical terrain of EDM culture”
¹⁰ Dowling Marcus K., “JOE NICE and the HISTORY OF DUBSTEP IN AMERICA, PART THREE”, The Couch Sessions, 18/01/12. “You had the wobbling basslines. They were cool, but you have to be responsible with the wobble. When it got into a game of who could switch levels, and play louder and became a massive wobble fest, it totally lost the power of the original effect.” // “Dubstep went from being all about people listening to sounds to see who can sound the loudest. It’s gone from being an inventive and organic style to being about who’s badder and angrier.” // “Dubstep was never meant to be that aggressive. It’s root is dub, which is more peaceful, giving space to let songs breathe. Dubstep’s meant to have bass, not all mid-range. It’s too far gone in the other direction.”
¹¹ MistaJam, “The Story of Dubstep Episode 2”, BBC 1XTRA, 13/12/10. [extrait fan YouTube] “Brostep is sort of my fault, but now I’ve started to hate it in a way […] I tried to put a bit more energy into it… […] Now I think it’s gone too far, it’s got too noisy for noisy’s sake…”
¹² Flatley Joseph L., “Beyond lies the wub: a history of dubstep”, The Verge, 28/08/12. “It was the complete opposite of what was happening in drum & bass, which was all about sensory overload”
4 – Le dubstep et la technologie
Dans la partie précédente, nous découvrions les caractéristiques sonores du dubstep.
Nous nous demandions aussi comment le maximalisme qui le caractérise (de la même façon que pour l’EDM), a contribué à former les contours de la pop music des années 2010.
Cette recherche d’intensité sonore, couplée à sa nature synthétique, nous amène au sujet de ce quatrième chapitre, centré sur le rapport particulier que le dubstep entretient avec la technologie.
Si le dubstep anglais originel évoquait le côté glauque des paysages urbains, le brostep, lui, est particulièrement associé à la technologie dans la culture populaire. En effet, plus que le côté très produit, harmonieux de la dance (qui comme son nom l’indique est avant tout associée à la danse et à la fête), le dubstep évoque intrinsèquement un paysage sonore électronique brutale : par les wobble basses, les effets de glitch, ainsi que le côté bruitiste, répétitif, associé au bug informatique.
La technologie et sa représentation, cause du rôle transmédiatique du brostep
Qu’associe-t-on au brostep dans la culture populaire visuelle ? Si on tape le mot dans la barre de recherche de YouTube, on tombe en premier non pas sur des artistes connus du genre : on tombe sur des mix, des compilations de musique pensées pour des usages parallèles, en fond sonore, en premier lieu pour accompagner la pratique du jeu-vidéo.
Or, pour accompagner ces compilations et pour attirer du clic, le côté visuel n’est bien souvent pas laissé au hasard. Ces compilations brostep sont pensées à l’attention de la figure du « gamer ».
Ainsi on y retrouve, en lien avec le maximalisme de cette musique, tous les codes graphiques « extrêmes » communs à la fois au jeu-vidéo et aux blockbusters hollywoodiens, deux industries culturelles dont la plupart des produits sont pensés pour la jeunesse masculine blanche occidentale.
Sur ces compils, le gamer peut admirer à foison de la violence guerrière, des machines (au choix des voitures, ou des robots) à l’aspect métallique, ou encore des figures féminines ultra-sexualisées.
Du côté des artistes, les principaux représentants de cette tendance sont Borgore, critiqué en 2014 pour ses paroles sexistes, mais surtout Excision pour son univers visuel foisonnant et fluorescent.
Image promotionnelle avec le X de Excision. Les codes de l’industrie, du métal, de la hi-tech, sont poussés à l’extrême.
Le caractère extrême du brostep fait que le genre est depuis le début des années 2010 directement intégré dans les jeux-vidéo, ou, dans le cas des films, dans les bandes-annonces.
Lors de l’explosion de Skrillex notamment, la similitude entre le brostep, les effets sonores de machines, de robots, et l’esthétique hi-tech, a fait se généraliser l’utilisation de titres évocateurs dans de nombreux films d’action à gros budget, souvent autour des thématiques de la course, de la violence, de l’apocalypse
“Dans les thrillers d’action frénétiques, neo-cyborg, et alien comme Transformers, Cowboy & Aliens, ou G.I Joe, comme dans les FPS dystopiques comme Borderlands, Far Cry 3, et Black Ops 2, les wobbles et les drops de basses, servent constamment d’amplificateurs sonores des actions du héros. Les tirs de barrage de fusils d’assaut résonnent avec une succession de basses et de percussions très rapides, pendant que le contact viscéral des coups de crosse et des grenades projetées marquent des ruptures dans le temps et l’espace, quand les séquences en slow-motion vont de pair avec les chutes de basses dans la texture sonore et rythmique.
La dureté est le principal ressenti ici : les samples de grosses caisses et de caisses claires ultracompressés se combinent avec des lignes de basses surproduites, créées à partir de multiples oscillateurs résonnant dans une large gamme de fréquence, colonisant le paysage sonore en remplissant chaque petit recoin du spectre de fréquence. La musique — et les formes médiatiques avec lesquelles elle s’est entremêlée — a servi de catalyseur affectif et de toile de fond concrète à l’émergence d’une bro culture dominante, sans vergogne, dopée à l’adrénaline.”
Mike D’Errico¹, chercheur en musicologie et media studies, 2014
Ce long passage exprime plutôt bien la puissance que dégagent les éléments sonores du brostep, mis au service de produits commerciaux post-cinématiques. La chercheuse et philosophe féministe Robin James a même réussi à théoriser le comportement du symbole du brostep, les wobble bass, comme signature sonore du néolibéralisme.
Les wobbles, filtrés par un LFO (oscillateur basse fréquence / low frequency oscillator) modulé par une onde sinusoïdale créent un sentiment de puissance contenue, celle d’impulsion électronique pure, sans artefact, d’autant plus puissant quand le LFO influe à la fois sur les fréquences moyennes et basses, voire infrabasses.
« Le son, la lumière, et l’électricité peuvent tous être modélisés comme des ondes sinusoïdales, de la même manière que celles-ci peuvent être employées pour modéliser les algorithmes probabilistes de gestion de risque favorisés par le néolibéralisme biopolitique. »
Robin James², chercheuse en philosophie et gender studies, 2015
(…Bon, je vous l’accorde, là on s’aventure vers des sound studies un peu deep). En clair, le brostep s’est aisément glissé dans son costume d’élément musical transmédiatique, encouragé par un bruitisme qui s’inscrit dans une puissance évocatrice relativement phénoménale.
Par des mecs pour des mecs
Bien évidemment, tous les producteurs dubstep ne sont pas très enthousiastes face à ce néohardcore apolitique pour digital natives. James Blake s’émeut par exemple de la façon dont, selon lui, le brostep cristallise en musique ce qu’il décrit comme une hyper-masculinité particulièrement débridée³, presque auto-parodique, déjà visible dans les supports graphiques que sont les films type « blockbusters » depuis les années 1980, ou encore certains jeux-vidéos testéronés, majoritairement des FPS.
Ces types de jeux-vidéos très masculins, portés sur la guerre ou le combat sont, dès leur conception, pensés par une frange de la population déjà influencée par le côté hyper-masculin véhiculé par les industries américaines du grand spectacle.
Ainsi, les concepteurs, et programmeurs, en tant que maîtres de l’espace virtuel, ceux-là même qui mettent en place les univers dans lesquels vont évoluer les joueurs, transmettent ce pouvoir de créateur quasi déifique, dans les mains du joueur, par le biais de ce qu’il contrôle dans le jeu : très souvent un personnage d’apparence humaine, masculin, très musclé, et surpuissant dans son propre univers. Pensons par exemple aux licences Prince of Persia, God of War, Far Cry, ou encore la série GTA dans son absence de règles et sa totale liberté d’action.
Pour revenir à la musique, l’utilisation du brostep dans ces films, séries et jeux lui donne ce que le chercheur en media studies Henri Jenkins appelle un rôle « transmédiatique »⁴, dans le cadre d’une culture de la convergence qui caractériserait toute une frange de la culture populaire occidentale contemporaine.
Steven Shaviro, autre spécialiste de la question, parle lui de courant post-cinematic, dans l’influence que les bandes annonces (les « cinématiques ») ont sur les autres formes médiatiques vis-à-vis de l’énergie, de la rapidité du montage⁵.
Le montage et la musique d’accompagnement sont ici un outil parmi d’autres pour hyper-rythmer, projeter au mieux son énergie sur ce public potentiel (la bande-annonce étant par définition une publicité).
Ainsi, plusieurs médias sont compilés, et parfois produits dans un but unique, ici le fait de vendre des places de cinéma.
Dans les blockbusters et les FPS, l’idée est d’offrir au spectateur ou au joueur une expérience toujours plus captivante.
Official Reveal Trailer | Call of Duty: Black Ops 2
Mais si l’on parle ici de machisme, et de figure du gamer, c’est avant tout car les producteurs de contenu tentent de caractériser « leur » public, de le cibler, dans les clips accompagnant les musiques, ou dans la culture populaire, en particulier sur internet.
La vision de son propre public (sur Internet)
Alors attention : le début des années 2010 c’est l’époque du triomphe de la culture geek, et par là même la résurgence de stéréotypes d’adolescents rejetés par les « sportifs » du lycée.
C’est comme ça que pendant un temps, le dubstep symbolise à lui tout seul le narratif du geek exclus qui sort de sa tanière et devient cool. Il faut dire que l’image nerd du DJ/producteur a été incarnée à merveille dans les médias par Skrillex, petit mec à la coupe emo, avec des lunettes à grosse monture.
Celui-ci illustre parfaitement le paradoxe de l’individu qui semble enfermé, toute la journée sur son ordinateur, mais qui en réalité fait danser des foules monstres en étant au centre de l’attention le soir.
“Au bord de son escalier en métal, Skrillex ressemble à un gamin skater devenu gothique devenu hacker” Neil Strauss, Rolling Stone, 01/03/2012
Le « fantasme » du geek : garder son image mystérieuse, sombre, « différente », tout en étant le roi du monde en soirée, qui dicte ses propres règles.
Dit autrement, le fantasme du geek véhiculé à cette période est ce contraste entre le jeune homme qui semble être réservé, timide, peureux, la journée, mais qui maîtrise les codes de la masculinité la nuit : « Ce mec a l’air chelou, mais en vrai c’est grâce à lui et à ses sons que tu pécho en soirée » (Une double vie très similaire à celle de héros de comics).
Toutefois le brostep n’est pas le pire. Même si la coïncidence entre virilisme et brostep est compréhensible dans la période 2010/2013, où l’EDMisation (le processus de rassemblement de nombreux genres et cultures électroniques sous l’étiquette EDM) était toute fraîche, l’image même de ces DJ est plus emo/punk/nerd (en général) que « kéké sportif », à la Timmy Trumpet par exemple. Dans un premier temps effectivement la bro culture semblait symboliser le brostep.
Mais a posteriori, l’univers visuel du genre est durablement lié à la technologie, à Internet, plus que la big room house, par exemple.
La technologie comme outil
Après avoir parlé de la représentation de la technologie, parlons maintenant de la technologie comme outil, puisque c’est finalement cette omniprésence même de la technologie dans le processus de production artistique qui la conduit à être constamment évoquée dans les œuvres finalisées.
Revenons sur les LFO : Ceux-ci sont donc utilisés dans le dubstep pour filtrer les basses, les faisant évoluer dans le temps, et leur donnant par conséquent une certaine fonction rythmique.
“Quand ce processus est appliqué à plusieurs oscillateurs en même temps — chacun opérant à différents niveaux du spectre sonore — l’effet donné est proche d’une forme spectrale et spatiale de ce que Julian Henriques appelle « la domination sonore ». Massive permet à l’utilisateur d’enregistrer des automations sur le rythme, le tempo, et le niveau de quantification de l’oscillation de la basse, transformant les gestes physiques initialement requis pour créer et moduler des sons sur un synthétiseur (comme le fait de tourner un bouton ou de pousser un curseur) en algorithmes numériques.”⁶
Mike D’Errico, 2015
Au-delà des LFOs, le côté “plein” et surproduit de la musique brostep et EDM en général évoque un maximalisme sonore inconnu auparavant. Si cet aspect est à ce point significatif, cela s’explique par le contexte de production même des œuvres musicales.
Les DAW, ou stations de travail audio numériques comme FL Studio, Ableton Live, Reason ou Cubase ont un côté ludique, presque comme un jeu-vidéo, et incitent inconsciemment, dans leur interface, à empiler, entasser toujours plus de sons et d’effets, dans des chaînes à priori infinies (à condition d’avoir le matériel adéquat, bien sûr).
“Comparé avec le matériel analogique qu’étayaient les premiers titres house et techno, le logiciel numérique utilisé aujourd’hui par une vaste majorité de producteurs dance a une tendance inhérente à se diriger vers le maximalisme. Dans un article pour Loops, Matthew Ingram écrit à propos des stations audio numériques comme Ableton Live et FL Studio qu’elles encouragent la « superposition infinie », et explique comment l’interface graphique inculque insidieusement une vision de la musique semblable à un « sandwich géant composé d’éléments arrangés verticalement, empilés les uns sur les autres ».
Pendant ce temps, la possibilité de paramétrer n’importe quel élément sonore ouvre une dangereuse infinité abyssale de perfectionnisme. Quand le logiciel numérique se met à encadrer l’esthétique minimale, on a ce qu’Ingram appelle un « ruissèlement audio » : une obsession pour le sound design, des variations rythmiques complexes, et d’autres minutiae qui seront malheureusement familières à n’importe qui ayant suivi la minimal et le post-dubstep durant ces dix dernières années.
Mais maintenant, cette même technologie numérique est déployée à des fins totalement opposées. Riffs très ornementés, éruptions de virtuosité numérique, solos qui montent au ciel, et autres maxutiae, tout enduits avec des couleurs primaires fluorescentes. Le ruissèlement audio a pavé la voie au torrent audio — l’extravagance de jardins à fontaine versaillais.”⁷
SIMON REYNOLDS, journaliste musical, 2011
On le voit ici, si la scène brostep globale a été aussi dynamique et florissante durant son heure de gloire c’est avant tout que son existence a été permise et conditionnée par l’accessibilité de l’informatique : plus précisément des logiciels audios, et notamment des synthétiseurs numériques à table d’onde.
“Ce n’est plus une question de savoir faire de la musique, parce que le logiciel est distribué, accessible”⁸
MARTIN CLARK a.k.a. Blackdown, journaliste et DJ, 2011
Effectivement, l’informatique grand public et sa démocratisation ont joué un grand rôle dans le développement du dubstep.
Skream et Benga disent par exemple avoir commencé à produire sur la PlayStation, avec le logiciel Music2000, quand Skrillex raconte avoir composé Scary Monsters dans son squat avec seulement un Mac, Ableton Live, et une enceinte gauche⁹. Depuis 20 ans, les logiciels regroupés sous l’appellation « stations de travail audio numériques », se sont popularisés, sont plus accessibles, et bénéficient d’améliorations constantes liées à la montée en puissance des processeurs grand public.
La quintessence du home studio permet désormais de tout regrouper dans un seul logiciel, auquel on peut ajouter autant de plug-ins, d’extensions, que l’on veut. C’est ainsi que tout un marché de l’instrument virtuel s’est développé, notamment dans la reproduction d’instruments analogiques reconnus.
Wob knobs
Parlons un petit peu de synthétiseurs :
Native Instruments est une société allemande proposant de nombreux logiciels musicaux, et qui a grandement contribué à l’essor du brostep avec deux synthés iconiques.
D’abord, dans la catégorie des reproductions, les synthétiseurs FM7, puis FM8, comme leur nom l’indique, virtualisent le Yamaha DX7, instrument célèbre pour sa manière de produire du son : la synthèse FM, qui utilise la modulation de fréquence, est en effet aussi complexe à maîtriser, que puissante, permettant d’obtenir de nombreux timbres très différents.
Couplée aux capacités quasi-infinies du numérique, la synthèse FM proposée dans ces nouveaux instruments numériques rend désormais accessible à de très nombreux musiciens la puissance de celle-ci.
Bien loin des tonnes de tubes synthpop des années 80 biberonnés au DX7, la synthèse FM revit à la fin des années 2000 au travers de la bass music.
Après la sortie de FM8 en 2006, 2007 voit l’arrivée de Massive, synthétiseur à synthèse soustractive et utilisant des tables d’ondes.
D’abord la synthèse soustractive, c’est simplement la production d’une onde, souvent très riche en harmoniques, que l’on va filtrer pour ne garder qu’une certaine gamme de fréquence.
Pour produire ces sons de base, avant filtrage, Massive utilise des tables d’ondes, petits fichiers audios dans lesquels le logiciel va capturer différents petits échantillons dans le temps pour en faire plusieurs ondes sonores, comme les basiques ondes sinusoïdales ou en dents de scie.
NI Massive – Understanding Wavetables In NI Massive – How To Tutorial
La vidéo montre la facilité à faire évoluer le son dans Massive. (ADSR Music Production Tutorials, 2014)
Ainsi on a non seulement accès à de très nombreuses ondes, mais celles-ci peuvent donc être évolutives.
De la première à la dernière onde séquencée, les tables d’ondes fournies par l’éditeur évoluent progressivement, des aplats ou des pics se forment, permettant de créer des sons très complexes très rapidement, en faisant évoluer le son avec des LFO ou des enveloppes.
Une sorte de raccourci pour éviter de se perdre dans les méandres de la synthèse FM.
Ces sons avant filtrage peuvent apparaître très stridents dans un registre moyen, presque plus semblables à un bruit qu’à une note, pourtant, dès que l’on baisse de quelques octaves dans le piano virtuel, un nouveau monde de basses s’offre au musicien.
Les harmoniques jadis stridentes se transforment en gargouillis, en grognements, évolutifs. Évolutifs, et répétitifs, car non content de proposer des filtres fixes, Massive propose évidemment l’automation des paramètres sur les LFO et enveloppes, ce dont parle Mike D’Errico un peu plus haut.
2007. Pile à la conception du brostep, son instrument fétiche sort. Parce que oui, Massive va devenir un véritable phénomène, surtout à partir du succès de Skrillex, où de nombreux jeunes internautes musiciens en herbe vont vouloir reproduire les sons de monstres du jeune américain et de ses collègues.
Quelque part, cette démocratisation de la musique assistée par ordinateur est davantage une massification en ce qu’elle est responsable d’une certaine homogénéisation sonore du brostep.
Ce succès parallèle à une soudaine popularisation de la MAO fait des envieux auprès de nombreux poids-lourds des logiciels musicaux, sortant un à un leur propre synthé à tables d’ondes.
C’est à ce moment-là qu’intervient la petite société de deadmau5 et Steve Duda, Xfer Records, déjà connue pour avoir transformé une simple préconfig dans Ableton en un certain plugin de compression multibande nommé OTT, sur-utilisé dans l’EDM. Xfer, donc, sort en 2013 Serum, qui devient instantanément le successeur spirituel du logiciel de Native Instruments.
Parfois qualifié de « Massive x1000», Serum se rapproche effectivement d’une version dopée de son grand frère, permettant la visualisation des tables d’ondes, des spectres audios, en multipliant les LFO, enveloppes, et les paramètres contrôlables, tout en apportant un véritable onglet entier d’effets pensés pour l’EDM dans ce qu’elle a de plus maximaliste.
Et surtout, Serum permet enfin d’importer ses propres tables d’ondes, permettant cette fois-ci une véritable infinité de possibilités sonores, alors que tout le monde commençait à faire le tour de Massive, poncé à l’extrême.
Le passage entre Massive et Serum, pour le coup, souligne une certaine homogénéité sonore du brostep, un auditeur attentif reconnaissant l’utilisation quasi systématique de phaser ou de flanger, comme symptomatique de Serum et de son interface incitant à utiliser les nombreux effets disponibles et pouvant être modulés par LFO ou par enveloppes (les enveloppes, surnommées ADSR, sont comme des LFO fixes : c’est par exemple ce qui permet de contrôler l’attaque, la durée et la fin d’un son quand l’enveloppe contrôle le volume sonore, comme tous les synthés.
ADSR envelope synth tutorial part A
Représentation graphique d’une enveloppe. (Synth School, 2010)
HOLY INTERNET
La démocratisation de ces logiciels ne s’est bien sûr pas simplement faite sans le développement de la toile.
Car comme tout ce qui est relié à l’informatique, l’arrivée d’internet et du web est une révolution au même titre que l’arrivée même des micro-ordinateurs dans les foyers.
Désormais, non seulement tout le monde peut produire de la musique, mais tout le monde peut aussi la distribuer, et contacter d’autres passionnés, dans le cadre de l’aspect très communautaire qui est apparu sur le web dès sa naissance.
Ainsi, sans les forums spécialisés qui fleurissent durant les années 2000 comme dubstepforum.com, sans les magasins de disques en ligne, sans les réseaux sociaux et autres sites d’hébergement de médias comme YouTube ou SoundCloud, le dubstep ne serait clairement pas ce qu’il est aujourd’hui, et serait resté underground, vivant d’une poignée de labels, de radios, et d’une communauté relativement restreinte.
“Je crois que si mondialement c’est devenu aussi énorme, et rapide, c’est grâce à Internet. C’est sûr. Internet n’était pas là quand la drum and bass a commencé. Ça a pris bien plus de temps à prendre, quoi.”¹⁰
Hatcha, pionnier du dubstep, en 2008
La carrière de Skrillex est souvent décrite comme une des premières à avoir profité quasi-exclusivement d’Internet.
Sans publicité, juste en postant ses titres sur YouTube, Sonny Moore a rassemblé une gigantesque communauté de fans aux quatre coins du monde.
La filiale de Google a permis au dubstep de s’épanouir en ligne, en mettant à disposition gratuitement une infinité de morceaux, parfois mis en ligne par des chaînes « de promotion » agissant en quelques années comme des labels : en témoignent les exemples de Monstercat, et surtout de UKF.
YouTube est devenu pour le brostep un véritable support hébergeant à la fois du contenu musical mais permettant aussi au genre d’impacter toute la plateforme dans une émulation médiatique, et artistique (c’est aussi sur YouTube qu’apparaitront plusieurs vidéos montrant la « dubstep dance », sorte de hip-hop robotique effectué sur les titres brostep à la mode au début des années 2010).
Émulation médiatique, artistique, on l’a dit, et même une fusion des deux : en effet YouTube est aussi une mine d’or pour la mémétique.
Des pratiques comme le nightcore se retrouvent transposées au début des années 2010 à la musique dubstep : de nombreux internautes pouvant désormais accéder aux plus puissants logiciels de musique disponibles remixent avec plus ou moins d’audace des thèmes de dessin animé, de jeux vidéo, un phénomène qui émigrera encore vers la trap, quelques années plus tard.
Il existe aussi beaucoup de montages mélangeant des images de films avec du brostep, similaires aux AMV (vidéo-clips réalisés par des fans d’anime japonais pour mettre à la fois en valeur la musique, mais aussi et surtout l’anime en question).
On assiste ici à une culture développée entièrement sur internet, nouvel espace médiatique en dehors de la réalité concrète, où il y a presque autant d’internautes contributeurs que de spectateurs d’un fait culturel, par l’omniprésence du partage au sein du web 2.0.
Hellsing Skrillex First Of The Year (Equinox) [AMV] Mélange entre l’anime “Hellsing” et l’un des tubes de Skrillex, “First of the Year”. (mrtrafficstopper, 14/12/2012)
Internet a énormément apporté à l’essor du dubstep, et paradoxalement, lui a aussi causé du tort.
On l’a vu précédemment, la conception très « communautaire » de certaines plateformes comme YouTube et son espace commentaires a exacerbé la confrontation entre puristes et ceux qui ont découvert au hasard le dubstep avec le brostep.
La séparation entre le dubstep old-school, et celui, beaucoup plus populaire représenté par Skrillex ne s’est pas faite nominalement.
Cela se traduit donc par l’invisibilisation du premier au profit du deuxième pour le grand public, et par la confirmation du bienfondé de la position de résistance qu’adoptent les représentants du son « underground »¹¹.
Commentaire sous l’un des uploads YouTube de Rutten par Skream.
D’autant que les habitudes d’écoute musicales se sont métamorphosées en quelques années. Sans parler de Spotify ou Deezer, l’écoute sur YouTube est devenue une habitude pour toute une génération ayant grandi avec réseaux sociaux et sites d’hébergement de contenu.
Ainsi, même si un morceau dubstep classique est disponible sur le site, il est peu probable que l’internaute lambda sorte un gros caisson de basse, préférant écouter sa musique au plus simple avec de petites enceintes, un casque ou des écouteurs, voire avec les haut-parleurs intégrés de l’ordinateur ou du téléphone.
La nécessité d’avoir un matériel adapté pour entendre proprement les infrabasses, sous peine de se retrouver devant une sorte de morceau instrumental répétitif sans intérêt crachoté par des petits enceintes, participe aussi à renforcer l’incompréhension d’un novice devant le UK dubstep.
EDM continuum
Nous voici à la fin de ce dossier de quatre articles sur l’histoire et l’influence du dubstep.
On est passé par l’histoire du genre en Angleterre ; puis son développement américain/transnational à travers le brostep et le riddim ; ses branches alternatives, son influence sur le reste de la musique occidentale ; et enfin de son potentiel évocateur de la technologie, à travers les univers visuels associés, et sa composition-même.
Simon Reynolds a beaucoup disserté sur le fait que dans un objet musical tel qu’il théorise le continuum hardcore, l’évolution sonore se fait de façon très progressive entre les différents DJs, labels, scènes : contrairement à des genres musicaux comme le rock ou le rap, les mutations musicales du continuum hardcore anglais ne sont pas dues à quelques groupes précis, ne sont pas de grandes marches abruptes, mais bien une pente relativement lisse.
Reynolds reprend ainsi le concept de scenius élaboré par Brian Eno.
Le fait même de parler de continuum remet en question les frontières nominales et conceptuelles construites entre ce qu’on appelle chronologiquement rave, jungle, UK garage, drum’n’bass, 2-step, dubstep, et grime.
Le journaliste rejoint dans cette critique de la catégorisation de nombreux producteurs qui ne sont pas à l’aise avec le fait d’étiqueter leurs musiques naviguant entre plusieurs « genres ». D’ailleurs, comme n’importe quels autres univers musicaux, dubstep et brostep sont des catégories créées dans un souci pratique à la fois pour la vente de disques aux DJs mais aussi pour le (grand-)public.
Or, ces dénominations participent dans un second temps de la codification d’un genre : dans de nombreux cas, donner un nom à un genre le fait naître de facto, lui donne une consistance, une existence.
Dès le départ, le terme EDM a été beaucoup critiqué pour son caractère très flou, sorte de mot-clé qui permet aux promoteurs et festivaliers de cibler des publics précis. Pour le DJ DieselBoy, le dubstep amène un public beaucoup plus grand à la rave culture, et contribue à l’intensification d’un business.
En effet, l’EDM est parfois vue comme l’industrialisation et la massification de la rave culture.
“La scène rave a diminué pendant longtemps, pour finalement être renommée EDM. Le mot “rave” a été remplacé par “festival”. L’ecstasy est désormais appelée “Molly”.”¹²
Dieselboy, DJ américain
Au final, ce mot symbolisant pour certains le caractère commercial de ce qu’il désigne est en fait un bon stimulant pour la fusion des nombreux genres qu’il regroupe.
On peut tenter ici d’analyser le dubstep comme un genre « passerelle », qui a à la fois grandi au sein du « hardcore continuum » théorisé par Simon Reynolds, mais qui a aussi grandement participé à la naissance d’un nouveau continuum, celui de l’EDM. Dans une autre dimension, on peut aussi parler du dubstep comme du premier véritable genre musical développé sur les plateformes numériques sociales contemporaines.
Du glitchcore de SoundCloud, Discord et TikTok, étudié par le fils Reynolds¹³, à YouTube et aux forums qui ont diffusé le brostep, il n’y a qu’un pas.
Références
— Tous les liens ont été vérifiés le 18 septembre 2024 —
¹ D’Errico Mike, “Going Hard: Bassweight, Sonic Warfare, & the “Brostep” Aesthetic”, Sounding Out!, 23/01/14.
“While Jenkins’ discussion focuses primarily on changes within the economic realms of film and television production that were occurring during the time of the book’s writing, one of the most dominant forms of convergence culture today exists at the intersection of EDM, action movies, and first-person shooter video games. The most prominent use of dubstep as a transmedial form comes from video game and movie trailers. From the fast-paced, neo-cyborg, and alien action thrillers such as Transformers (2007–present), Cowboys & Aliens (2011), and G.I. Joe (2012), to dystopian first-person shooter video games such as Borderlands (2012), Far Cry 3 (2012), and Call of Duty: Black Ops 2 (2012), modulated oscillator wobbles and bass portamento drops consistently serve as sonic amplifiers of the male action hero at the edge. Assault rifle barrages are echoed by quick rhythmic bass and percussion chops, while the visceral contact of pistol whips and lobbed grenades marks ruptures in time and space as slow-motion frame rates mirror bass “drops” in sonic texture and rhythmic pacing. “Hardness” is the overriding affect here; compressed, gated kick and snare drum samples combine with coagulated, “overproduced” basslines made up of multiple oscillators vibrating at broad frequency ranges, colonizing the soundscape by filling every chasm of the frequency spectrum. The music — and the media forms with which it has become entwined — has served as the affective catalyst and effective backdrop for the emergence of an unabashedly assertive, physically domineering, and adrenaline-addicted “bro” culture.”
² D’Errico Mike, “Sonic Pleasure and Post-Cinematic Affect, by Robin James”, IASPM-US, 03/07/13.
“Sound, light, and electricity can all be modeled as sine waves, just as sine waves can be used to model the probabilistic risk-management algorithms favored by biopolitical neoliberalism”
³ Pelly Liz, “Interview: James Blake’s dub soft-shoe”, The Boston Phoenix, 28/09/11.
⁴ Voir : Jenkins Henri, La Culture de la convergence. Des médias au transmédia, trad. de l’anglais par C. Jaquet, Paris, A. Colin/Ina Éd., coll. Médiacultures, 2013 [2006], 336 pages.
⁵ D’Errico Mike, “Electronic Dance Music in the Dubstep Era” (partie : Convergence Media and the Rise of the Sonic Meme), Oxford Handbooks Online, 09/15.
⁶ D’Errico Mike, “Electronic Dance Music in the Dubstep Era” (partie : Notes on the Underground), Oxford Handbooks Online, 09/15.
“When this process is applied to multiple oscillators simultaneously — each operating at disparate levels of the frequency spectrum — the effect is akin to a spectral and spatial form of what Julian Henriques calls “sonic dominance.” Massive allows the user to record “automations” on the rhythm, tempo, and quantization level of the bass wobble, effectively turning the physical gestures initially required to create and modulate synthesizer sounds — such as knob-turning and fader-sliding — into digitally-inscribed algorithms.”
⁷ Reynolds Simon, “Maximal Nation”, Pitchfork, 06/12/11.
“Compared with the analog hardware that underpinned early house and techno, the digital software used by the vast majority of dance producers today has an inherent tendency towards maximalism. In an article for Loops, Matthew Ingram […] wrote about how digital audio workstations like Ableton Live and FL Studio encourage “interminable layering” and how the graphic interface insidiously inculcates a view of music as “a giant sandwich of vertically arranged elements stacked upon one another.” Meanwhile, the software’s scope for tweaking the parameters of any given sonic event opens up a potential “bad infinity” abyss of fiddly fine-tuning. When digital software meshes with the minimalist aesthetic you get what Ingram calls “audio trickle”: a finicky focus on sound-design, intricate fluctuations in rhythm, and other minutiae that will be awfully familiar to anyone who has followed mnml or post-dubstep during the last decade. But now that same digital technology is getting deployed to opposite purposes: rococo-florid riffs, eruptions of digitally-enhanced virtuosity, skyscraping solos, and other “maxutiae,” all daubed from a palette of fluorescent primary colors. Audio trickle has given way to audio torrent — the frothing extravagance of fountain gardens in the Versailles style.”
⁸ Flatley Joseph L., “Beyond lies the wub”, The Verge, 28/08/12.
“It’s no longer a question of whether you can make music, because the software is distributed, it’s accessible.”
⁹ Future Music, “Interview: Skrillex talks production, plug-ins and power edits”, Music Radar, 25/05/12.
¹⁰ Darkside, “Hatcha Interview”, Get Darker, 23/07/08.
“Worldwide, the reason I think that it’s gone so big, so quick, is because of the Internet. Without a doubt. The Internet wasn’t around when drum and bass first launched. That took a lot longer to catch on, you know.”
¹¹ Strohecker David Paul, Dwan Ibalu, “The Popularization of Dubstep: FULL ESSAY (Parts 1 and 2)”, The Society Pages (Cyborgology sub-blog), 21/01/12.
¹² Flatley Joseph L., “Beyond lies the wub”, The Verge, 28/08/12.
“ « The rave scene pulled back for a while, and eventually became rebranded as EDM. The word “rave” has been replaced by “festival.” Ecstasy is now called “Molly.” Instead of the hacked together grassroots appeal of Hyperreal, there are slick concerns like Dancing Astronaut.”
¹³ Press-Reynolds Kieran, “Deep-internet bubbles: How microgenres are taking over SoundCloud”, No Bells, 25/01/22.