Interview Kode9 part 2

Dans cette 2e partie de l’interview, Kode9 nous parle de l’expansion du dubstep aux États-Unis, de l’actualité de son label, de l’hyperdub et de philosophie…

Synaptic : Qu’en est-il du dubstep aux États-Unis ? C’est en train de devenir plus important avec des DJs comme JoeNice qui représentent la scène…

Kode9 : Le président du dub ! Oui, je pense que JoeNice aide beaucoup ce son parce qu’il comprend la culture de la dubplate inhérente à la scène, il comprend la meilleure façon de jouer cette musique, la façon de la mixer et il est en bonne relation avec les gens à Londres. Il est venu aux soirées, il a joué à la DMZ et tout simplement il comprend cette musique, donc il la promeut bien.

Synaptic : Tu as joué à New York récemment…

Kode9 : Oui, il y a une soirée à New York nommée Dub War et qui est organisée par Dave Q. J’y ai joué il y a deux mois et c’était une des soirées les plus excitantes dans lesquelles j’ai joué où que ce soit. Et les gens semblent connaître la musique. Ils semblent connaître des morceaux qui ne sont pas encore sortis — principalement en téléchargeant des sets de Rinse FM. J’ai aussi joué à Vancouver et c’était aussi incroyable. Et je crois que la chose vraiment cruciale à propos de ces soirées qui commencent à émerger en Amérique du Nord, c’est qu’ils comprennent que sans un bon système fourni en sub-bass c’est complètement insignifiant. Et si la sub-bass est présente alors elle se répand sans qu’il soit nécessaire de trop pousser le volume. Parce que les gens aiment les infrabasses, ils aiment sentir leurs corps vibrer. Qu’est-ce que tu veux… Ils aiment ça…

Synaptic : Quels projets prévois-tu pour ton label Hyperdub cette année ?

Kode9 : Et bien il y a plusieurs choses en cours. Nous venons juste de sortir un track au format mp3 exclusivement ; il s’appelle “Fukkaz” et a été produit par moi-même et Space Ape, le vocaliste avec lequel je travaille. C’est un vieux track que nous avons fait il y a deux ans et nous avons décidé de ne le sortir qu’en mp3 dans le but de voir ce qui se passe lorsqu’on sort un track uniquement dans ce format. Nous ne faisons pas vraiment ça pour les DJs qui mixent avec des ordinateurs portables ou des CD. La principale raison est de voir si les gens presseront des dubplates à partir de mp3 si le track ne sort pas en vinyl. Et je sais qu’il y a des gens qui le font déjà aux États-Unis. Dans à peu près un mois, début mars, nous sortons un autre 10 inch — à nouveau moi-même et Spaceape, il s’agit de deux morceaux intitulés “Backward” et “9 Samourai”. Et encore début mars, il y a la compilation CD “Dubstep Allstars Vol.3” que j’ai mixé à la fin de l’année dernière. Ça sort sur Tempa, un des premiers labels typiquement dubstep. Ensuite, probablement vers le mois d’avril, nous allons sortir l’album de Burial, un autre producteur avec lequel je travaille sur Hyperdub. Probablement après l’été, je pense que nous sortirons un album Kode9/Spaceape et nous re-presserons sûrement tous les 10 inch originaux, parce qu’il y a une demande croissante pour nos premiers trucs. Nous n’avions pressé que 500 vinyls et la plupart des gens qui n’étaient pas sur la scène ont raté ces premiers trucs. Voilà le programme, en gros. À peu près au même moment que l’album de Burial nous sortirons un autre 10 inch ; il s’agit de deux mixes du même vocal de Spaceape, l’un par Burial et l’autre par moi-même. Le disque s’intitule “Spaceape EP”, assez bizarrement…

Synaptic : Hyperdub est le nom de ton label et de ton magazine en ligne, mais c’est avant tout un concept. Que signifie-t-il ?

Kode9 : Fondamentalement il s’agit de cette sorte d’évolution de la musique influencé par le dub. Donc pour moi hyperdub est un mot qui décrit ce côté de la jungle drum and bass, du UK garage, du dubstep et du grime auquel je me suis intéressé ces dix, quinze dernières années. D’une certaine façon, je préfère le terme hyperdub à dubstep parce qu’il inclut des aspects de la jungle, de la drum and bass, du UK garage et du dubstep et parce que ça continuera d’évoluer vers autre chose — le dubstep n’est pas l’ultime étape… Je suis moins intéressé par les scènes spécifiques que par la façon dont ce son évolue et mute en différents genres. En fait, l’expression de base c’est dub hyperactif.

Synaptic : Et qu’en est-il de ton livre “Sonic Warfare”, la guerre du son ?

Kode9 : Ça vient… (rires…) Ça vient lentement, ça a bougé tellement lentement que j’ai presque avancé à reculons. Mais cette année, j’ai beaucoup de temps pour écrire et je n’ai pas eu cette quantité de temps depuis cinq ou six ans. Si ça ne sort pas cette année, si je ne le finis pas cette année… je vais devenir fou.

Subrider : Je suis très intéressé par le concept de guerre du son. D’où cette idée vient-elle ?

Kode9 : En fait, c’est intéressant que tu poses la question parce que je me trouve à Paris ce soir et qu’une grande partie des idées présentes dans le livre viennent de deux philosophes français que j’étudie depuis longtemps — Gilles Deleuze et Félix Guattari. Si j’essayais d’expliquer très simplement le concept du livre, je dirais que je m’intéresse à leur concept de machine de guerre en relation avec la musique. C’est ça, il s’agit de l’utilisation du son en tant qu’arme. Il s’agit de collectifs locaux, de media tactique, de radio pirate, de culture de réseau, de DIY media… Il s’agit de tout ça, mais il s’agit principalement d’un livre conceptuel, en fait c’est de la philosophie du son.

Subrider : Tu veux dire que tu cherches à expliquer comment le son affecte le corps ?

Kode9 : Oui, je ne m’intéresse pas à la signification du son, mais à l’affect. Rythme et affect. Vibration et polyrythme, voilà ce qui m’intéresse, en fait. Donc, au même titre que les autres choses dont j’ai parlé, je m’intéressé à l’influence de la culture de la basse qui vient de Jamaïque et qui a essaimé en un genre de diaspora dub, ce genre de diaspora de la basse qui existe dans la culture post dub…

Subrider : À Londres…

Kode9 : Et bien, pas seulement à Londres… Tu pourrais dire ça partout où il y a une scène jungle drum and bass maintenant ça fait partie du processus, partout où le dubstep ou le grime se répandent, partout où il y a de la musique reggae dub ou l’influence de ce genre de musique : Londres, Berlin, New York, Paris, Sao Paulo, Tokyo… Partout où il y a cette influence de la culture de la basse. Et c’est une autre chose dont je parle dans le livre…

Subrider : On te connait comme DJ et producteur, mais c’est intéressant de voir que tu es aussi un philosophe et un écrivain…

Kode9 : Oui, il s’agit des deux… J’enseigne — c’est ce que je fais comme travail. J’enseigne la philosophie du son et le design sonore à Londres. Et pour moi ce sont juste les deux faces d’un même tout : l’une est abstraite, conceptuelle et l’autre est du design physique. Et je ne cherche pas vraiment à dissocier ces deux côtés parce que c’est tout simplement ce que je fais. Si jamais je pense à des gens qui divisent ces choses en une sorte de binarisme corps-esprit, je ne comprends tout simplement pas. De toute évidence c’est de la faute des français, René Descartes (rires…), mais pas seulement…

Subrider : Nous attendons tous le résultat de cette recherche parce que c’est une façon très intéressante d’envisager le son. On sait qu’il y a quelque chose de spécial dans le fait d’aller dans une salle et d’écouter 10k de son, mais personne n’a vraiment essayé de l’expliquer…

Kode9 : Oui, j’essaye de penser l’ensemble du continuum sonore. Je pense l’ensemble du continuum des sound-systems et la façon dont ils sont utilisés dans les conflits en partant de l’usage d’armement ultrasonique par l’armée américaine en Irak, jusqu’aux MCs de grime qui insultent leur familles respectives. Je suis intéressé par ce genre de relations de force, par ces relations de conflit et par la façon dont elles se manifestent dans le champ sonore.

propos recueillis et traduits par Synaptic Merci à Kode9, Eva Peel, Subrider et Poppy © all rights reserved, RPM 2006


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